Amour et swing
Cinéma / Critique - écrit par Filipe, le 22/11/2005 (Tags : swing higher cinema amour film drake comedie
En 1923, Tim Whelan fait ses grands débuts au cinéma en participant à l'écriture du scénario de Safety last, un film muet coréalisé par Sam Taylor et Fred Newmeyer. Le passage où l'on découvre Harold Lloyd suspendu aux aiguilles d'une horloge devient un moment culte du septième art (à tel point que Robert Zemeckis ne résiste pas à la tentation de le remettre en scène en 1985 dans Back to the future). Il réalise ensuite une poignée de westerns à petit budget pour le compte de la RKO (Badman's territory, Rage at down) mais se fait surtout connaître du grand public pour ses comédies musicales, Step lively et Higher and Higher. Dans les deux cas, il dirige Frank Sinatra. Dans Higher and Higher (dont la traduction française est loin d'être Amour et Swing), il offre également un rôle de tout premier choix à "l'un des plus beaux yeux du cinéma français" alors en exil à Hollywood : la merveilleuse Michèle Morgan. Pour ce même film, Tim Whelan s'appuie sur un scénario de Jay Dratler et Ralph Spence, lui-même inspiré d'une pièce de Gladys Hurlbut et Joshua Logan. Le voici en quelques mots...
Mis en faillite, le propriétaire d'une riche demeure accepte de suivre les conseils de son valet en faisant passer l'une de ses bonnes pour sa fille, afin de lui trouver un mari fortuné. Seule ombre au tableau : l'heureuse élue en aime un autre et cet autre, c'est le valet lui-même ! Seulement, ce dernier ne le sait pas encore.
Frank Sinatra est une star de la chanson lorsqu'il accepte de donner la réplique à Michèle Morgan. Pour sa première véritable apparition sur grand écran, les producteurs misent sur ses talents de "chanteur crooner" en lui confiant son propre rôle dans le film. Il y interprète cinq titres, tous composés par Jimmy McHugh et Harold Adamson : You Belong in a Love Song, I Couldn't Sleep a Wink Last Night, A Lovely Way to Spend an Evening, The Music Stopped et I Saw You First. Ceci explique que le film ait été présenté comme "The Sinatra Show", au grand dam de Jack Haley, alias le valet. Les faits plaident en sa faveur : Frank Sinatra intervient régulièrement, sans qu'il n'influence véritablement le cours des événements ; chacune de ses apparitions se solde invariablement par une interprétation musicale ; le film surfe uniquement sur sa popularité auprès des jeunes ménagères de moins de cinquante ans. Tim Whelan le montre sous son meilleur jour afin de promouvoir au mieux son image d'artiste de music-hall. Les scénaristes ont même été jusqu'à pousser le vice en lui consacrant l'ultime séquence du film qui, selon toute logique, aurait du revenir au couple Jack Haley / Michèle Morgan.
Bien qu'il s'agisse là d'une comédie musicale à vocation promotionnelle, elle n'en demeure pas moins l'un des tous premiers exemples du genre. En effet, le film présente bien cette alternance entre scènes dialoguées et instants musicaux. Les compositions sont extrêmement convaincantes. Les séquences de danse et de chant laissant transparaître à l'écran les émotions, les envies et les états d'âme de chaque intervenant. Même si certains adoptent par moments des expressions ou des postures un peu excessives, les acteurs éclipsent par leur simple présence les quelques incertitudes du scénario. Dommage que Tim Whelan s'attarde autant sur le visage du plus célèbre d'entre eux, Frank Sinatra. Il est évidemment égal à lui-même mais c'est Jack Haley qui dynamise le plus le récit. Leon Errol est étonnement drôle en aristocrate vieillissant et fauché. Il trouve en Victor Borge son parfait opposé. Michèle Morgan est la plus charmante de ses domestiques. Mary Wickes, la plus inflexible. Ivy Scott, la plus maternelle. Dooley Wilson, le plus agité. On rit, on pleure, on oublie tout. A mille lieues de ce qu'on a l'habitude de découvrir sur grand écran, le dépaysement est total. Bienvenue dans l'univers des comédies musicales, où tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles... Dans notre univers à nous, les acteurs de Amour et Swing méritaient un autre sort. Aujourd'hui, ils sont devenus de simples "curiosités" du cinéma classique.