8.5/10American Splendor

/ Critique - écrit par Amiral, le 19/05/2009
Notre verdict : 8.5/10 - Splendide (Fiche technique)

Tags : harvey pekar splendor american film robert comics

"Ordinary life is pretty complicated stuff" affirmait Harvey Pekar. Des soucis quotidiens qui l'ont hissé comme une référence de la BD underground, et au sommet d'un petit bijou cinématographique qui lui est entièrement dédié.

Qui aurait parié sur l'incroyable banalité du destin de Harvey Pekar ? Homme ordinaire à l'esprit plutôt futé mais piégé dans la caste profonde de l'Amérique.
Documentaliste cynique dans un univers hospitalier morose, l'homme évade son esprit à travers le jazz et la consommation de comics. Au fil de ses recherches de chefs d'œuvres oubliés dans les cartons abimés des vides greniers, Pekar rencontre Robert Crumb, futur père de Fritz le Chat et fondateur du mouvement comics underground. Une fois les amitiés nouées et la célébrité de Crumb à son apogée, Harvey Pekar lui propose des scénarios mettant en scène la sordidité de sa propre vie. Charmé par l'idée, Robert Crumb prête volontiers ses talents de dessinateur. Ainsi nait la série American Splendor  et les tracas quotidiens d'un héros ordinaire, loin des icônes classiques américaines. Une pure fiction ? Pas du tout ! Ces années de terreurs familières retranscrites sur papier connaissent un véritable succès outre-Atlantique depuis 1976.

American Splendor séduit tout d'abord par son originalité, desservant parfaitement l'univers de son auteur. Documentaire fictif, le film mêle narration autobiographique, excentricités animées, et témoignages du véritable personnage. Grincheux, acariâtre, pessimiste... Aux antipodes des mœurs habituels, Pekar n'en demeure pas moins un esprit brillant, l'œil critique et avisé. Son autodérision présente les coulisses réelles d'une nation et de ses représentants, maquillées par les paillettes aveuglantes de l'American Dream selon l'Oncle Sam. Des quartiers populaires de Cleveland jusqu'aux premiers pas sur les plateaux du populaire David Letterman Show (illustrés par de véritables images d'archives), Pekar a pourtant le succès asplendor3_250modeste et ne renie jamais le milieu infernal qui l'a hissé vers une gloire anonyme dont il mesure le ton. L'ambigüité de la mise en scène correspond ainsi parfaitement à la personnalité du personnage principal : à la fois sobre et extravagante, portée par une ligne narrative tragi-comique dont la complicité trouve source dans nos propres préoccupations.

American Splendor nous fait découvrir ainsi l'esprit avant-gardiste d'un concept autobiographique en Real, qui s'exécute année après année et non à travers le fruit d'expériences passées. On sourit en regardant la destinée du personnage en papier liée à celle de son créateur. On savoure ces instants de banalité agrémentés par les situations extraordinaires qui ont été possibles grâce à sa renommée. Certains spectateurs seront peut-être horrifiés par cette réalité jugée trop glauque et déprimante. Elle est pourtant véritable, toujours à la portée des protagonistes qui l'alimentent et qui vous invitent sans arrières-pensées à partager leur chaleur humaine.

"Ordinary life is pretty complicated stuff," affirmait Harvey Pekar. Une vie
ordinaire qui ne peut être qu'applaudie. American Splendor a reçu de nombreux prix lors de sa sortie sur grand écran en 2003 : Prix du Jury au Festival de Sundance, prix du meilleur film au Los Angeles Film Critics Association Awards, nominé aux Oscar pour la meilleure adaptation scénaristique et pour le prix « Un Certain Regard » au Festival de Cannes.

« Un Certain Regard »... Voilà sans doute la qualification la plus absurde et vide de tout sens. Vous n'avez pas de prix, vous n'avez pas la Palme d'Or, mais par contre le jury a accordé un « certain regard » sur votre œuvre. Trop la classe ! -dirait l'autre - On ne sait pas ce qu'ils ont pensé de la réalisation, mais en tout cas, c'était « Certain ». En attendant, il est certain d'ajouter ce petit bijou dans votre vidéothèque.