7.5/10A vif

/ Critique - écrit par Lestat, le 10/10/2007
Notre verdict : 7.5/10 - La vengeance d'une blonde (Fiche technique)

Tags : film adam bradley cooper restaurant chef kery

L'enfer d'Erica Bain n'est pas pavé de bonnes intentions.

Lorsque l'on évoque le film d'autojustice, deux catégories surgissent à l'esprit : les productions nobles, comme Crossing Guard, Mystic River ou Trois Enterrements, des drames où l'acte de vengeance est présenté comme une entité quasi-physique, qui pénètre peu à peu le mental et la personnalité de ses protagonistes. On y parle sentiments, destruction, parfois rédemption. Et il y a les autres : Le Justicier de New York, Vigilante, Le Droit de Tuer, Kinjite...des films d'exploitations qui défouraillent, le plus souvent enfantés des années 80 et par le succès de Charles Bronson en particulier, que l'on regarde aujourd'hui, parfois avec amusement (les films les plus indéfendables ont toujours les qualités de leur défauts), souvent avec nostalgie (c'était le bon temps, où l'on pouvait flinguer un loubard ridicule dans le dos sans se faire ennuyer par les tenants des bonnes moeurs). Reste l'entre-deux, dont un bon exemple serait Un Justicier dans la Ville, de Michael Winner, soit le film par lequel tout commença ou presque. A Vif qui nous intéresse aujourd'hui en est un autre, mêlant la descente aux enfers de son héroïne à des péripéties plus surréalistes. Le tout amene assez logiquement à une morale un peu étrange, que l'on pourrait résumer d'un lapidaire "la vengeance c'est mal, mais ça soulage".

Le moins que l'on puisse dire est que l'on a connu Neil Jordan (La Compagnie des Loups, The Crying Game, Entretien avec un Vampire...) plus subtil dans ses choix de scénario. Erica (Jodie Foster) vit le bonheur parfait avec David (Saïd de Lost), jusqu'à une fameuse nuit où un gang de tatoués les agressent sauvagement. David n'y survit pas. Très secouée, Erica ne reprend pied qu'avec difficulté. Pour ce faire, elle s'achète une arme dont elle ne tardera pas à se servir. Rien que du très classique donc, voire du cliché, jusqu'au choix du lieu d'action : New York, ville une fois de plus représentée dans ce qu'elle a de plus sombre et oppressante. L'inconvénient de ce terrain balisé est que le spectateur a toujours une avance sur le déroulement de l'histoire. L'avantage est qu'A Vif y gagne une patine un peu hors du temps, tout en faisant montre d'une absence de concessions bien appréciable, comme pour rendre hommage à ses aînés. Au delà de ce classicisme parfois castrateur, A Vif réussit tout de même a être réellement glaçant. Un ressenti qui doit beaucoup à la mise en scène de Jordan, qui elle aussi se rapproche des cadors du genre : simple, froide, crue et dans tous les cas, loin de ses univers habituels. Une approche en concordance avec la noirceur extrême du film et l'agression d'Erica et David comme les trouées de violence s'en retrouvent particulièrement perturbant. A Vif a également l'intelligence de ne pas juger son personnage et ses actes, mais au contraire de laisser au spectateur le bon soin de le faire, tout en le guidant par quelques questions bien senties. Osant la mise en abîme, le film se permet même d'ouvrir le débat, alors que son sujet et nos propres convictions quand à l'acte d'autojustice sont mis dos à dos.

Mais le véritable tour de force d'A Vif est de camoufler un propos assez profond sous les apparats d'un bon gros film bis, à l'image du casting où Jodie Foster, dans une composition bouleversante, côtoie un Denzel Washington du pauvre tentant d'imiter l'Eastwood de Sudden Impact.  En creusant un peu, on découvre qu'A Vif est au final moins un film sur l'autojustice -même si il en possède les codes et le déroulement- qu'un film sur l'aliénation. A mesure qu'elle emprunte le sentier de la guerre, Erica va sentir grandir en-elle une seconde personnalité, qui la dévorera peu à peu jusqu'au point de non-retour. Le plus perturbant est sans doute la lucidité totale d'Erica sur son basculement, que l'on suit en direct au fil de ses pensées, assenées par une voix-off implacable. Un pessimisme en phase avec la radicalité de l'ensemble, achevant de faire d'A Vif une oeuvre nihiliste. Par le portrait de cette femme brisée, devenant une étrangère pour elle-même, affrontant la peur d'endroits familiers devenus soudain inhospitaliers, tombant dans la vengeance moins par envie que par réflexe de survie, A Vif nous rapelle à sa façon que derrière une arme, il y a une main qui la tient. Et que l'une et l'autre sont intimement liées...