Voyage au bout de l'enfer
Cinéma / Critique - écrit par knackimax, le 05/04/2008 (Tags : film cimino michael voyage bout enfer guerre
Chef d'oeuvre classique et plaisir autiste se confondent dans ce film sociologique à forte valeur ajoutée. On tremble là où il le faut dans une étude sur l'enfer de la guerre et celui des hommes. A voir et à étudier.
Film oscarisé en 1979, Voyage au bout de l'enfer reste une oeuvre mystère réalisée par un auteur tout aussi mystérieux. En effet Michael Cimino, bien que n'ayant pas été prolifique, signa à une certaine époque quelques chefs-d'œuvre critiques dont ce dernier. Pourtant loin de faire l'unanimité, à l'époque comme aujourd'hui, les méandres de ce instant cinématographique titré en français de manière bien originale par rapport au titre initial qui intitulait l'histoire Le chasseur de cerf, les qualités de ce dernier sont innombrables au même titre que le sont ses défauts. Revenons donc sur les éléments d'une mystification. Traversons le temps pour nous réinterroger sur cette toile de trois heures et essayer d'en comprendre la logique et les impressions argentées.
L'action se déroule à un moment incertain de la guerre du Vietnam composant une fresque en trois tableaux. Dans les premiers temps de l'histoire, nous sommes présentés à une bande de jeunes gens qui viennent de s'enrôler pour l'Asie en pleine période de trouble. Partant d'un contexte social assez pauvre teinté par la communauté orthodoxe dont quelques uns d'entre eux font partie, nos trois futurs soldats se font des déclarations et préparent leurs plans d'avenir pour se rassurer sur la suite des événements. Mike (Robert De Niro) est le plus fort de la bande mais également celui dont les pensées ne s'expriment que rarement de manière claire lorsqu'il ouvre la bouche. Ses collègues ne pouvant pas intellectualiser ses propos, il se retrouve la voie intérieure de leur dynamique. Nick (Christopher Walken), son meilleur ami est sa contrepartie folle qui calme son besoin de contrôle absolu. Il lui fait promettre de ne pas le laisser au Vietnam s'il lui arrivait quelque chose. Steven, quand à lui se marie avant de prendre l'avion. C'est donc aux couleurs de cette joyeuse cérémonie religieuse que s'achève la présentation de ces personnages principaux avant de nous plonger dans l'enfer de la jungle.
Après une première partie un peu longue et peu perturbante où le chassé-croisé des émotions entre les personnages prend une ampleur humaine très importante pour la suite des événements, nous sommes parachutés au milieu des bombes. Nick, avant de partir, a promis le mariage à Laura (Meryl Streep) et n'a pas l'intention d'y rester. Mike amoureux de cette même jeune fille a encore moins à perdre et se transforme en guerrier absolu. Lorsque les trois compères se font emprisonner par les Viêt-Cong, il utilise ses forces pour mener les autres à bout de bras au milieu d'une situation infernale. En effet, leurs geôliers les forcent à jouer à la roulette russe entre prisonniers pour leur amusement et des paris endiablés. Tous proches d'une mort psychologique en phase terminale, ils finissent par s'en sortir mais se perdent en chemin. Certains ne reviennent pas, d'autres perdent des membres. Ceux qui sont restés aux pays, insouciants et protégés, retrouvent les personnes qu'ils ont aimées troués de partout et atteints au plus profond de leurs êtres. Ceux qui reviennent sont rongés par la culpabilité et le doute. Tous les thèmes inhérents à cette guerre surmédiatisée au cinéma se succèdent et se chevauchent dans un grand patchwork d'images désacralisées.
La principale différence de cette version des événements est l'angle utilisé pour la critique de la société. Sans être acerbe et avec une subtilité mélangée à un réalisme omniprésent Michael Cimino critique avec patriotisme. L'attachement aux personnages est tellement plus important, leur mentalité et leurs origines si développés, que les attaques politiques sont presque insoupçonnées. Pourtant elles
DR.y paraissent dans la vision d'ensemble que le tableau social et les répercussions de la guerre sur celui-ci nous représentent. L'Amérique meurtrie des premières minutes lorsque nous suivons les personnages dans cette mine moderne qu'est l'atelier sidérurgique dans lequel ils travaillent se confond avec l'enfer qui leur permet de survivre. Le lien est donc fait avec un retour à la réalité des plus troublants : la Pennsylvanie manque de palmiers, mais les armes y poussent déjà à foison, le danger qui y est pris chaque jour, annonce de manière indicible les horreurs qui vont suivre.
Un des gros problèmes de l'œuvre est d'en être une. A force de jouer entre naturalisme et stylisation, nous avons l'impression, le temps aidant, de nous retrouver dans un musée. Les fresques se succèdent et sont appréciables au plus haut point mais l'amateur finit par se substituer au passionné car celui-ci s'ennuie, puis le néophyte lui succède à son tour de peur de le voir bâiller à s'en décrocher la mâchoire. De ce fait, alors qu'une peinture serait probablement intemporelle, le grain et le cadre vieillissent et malgré quelques plans décadrés des plus ingénieux et parlants qu'il a pu être donné de voir au cinéma, nous nous retrouvons coincés au bord de couleurs vieillissantes. L'atmosphère sociale et son originalité y contrepartisent mais cela ne suffit pas. Il est dommage de s'apercevoir qu'en dix ans la couleur s'est ternie et que le plaisir visuel en a pâti. Il le serra d'autant plus pour ceux qui le découvriront pour la première fois et qui auront du mal à entrapercevoir le génie du coloriage qui à existé en ce lieu il fut un temps.
Heureusement, les sentiments qui se dégagent des personnages subliment la pellicule. L'interprétation des gens du peuple par ces étoiles brillantes que sont Meryl Streep, Robert de Niro ou encore Christopher Walken rendent le piqué amer de la photo vivant et absolu. Les scènes de chasse sont d'une beauté éblouissante et transcrivent la beauté de la solitude et l'impossibilité d'exister dans le monde. C'est toute l'intelligence du film qui s'y retrouve et transperce l'écran de ses bois agiles.
Il faut également rajouter à cela la lancinance du thème principal de Stanley Myers qui est un des plus beaux jamais écrits et lance des touffes d'émotions basés sur cinq légères notes aigues qui transpercent nos âmes telles des couteaux.
En additionnant ces quelques commentaires, nous n'arrivons malheureusement pas à ce sublime film qui peut parfois nous rester en souvenir. C'est peut-être là que se trouve le problème. Le souvenir est d'une clarté pure et sans tache alors que la vision est trouble par sa clairvoyance. On ne saurait donc plus à quel saint se vouer. Et le brouillard qui éclairait la montagne les jours de chasse est là pour nous le rappeler.
Pour ma part j'ai à nouveau déjà presque oublié les point négatifs et me retrouve bercé par les souvenirs mémorables de cette bandes d'amis partis à l'aventure là ou l'on ne peut aller que par conviction, dans le territoire des rêves et des cauchemars, au plus profond de nos têtes où parfois subrepticement se loge une balle, une seule balle... puis c'est la fin.