7/10Society

/ Critique - écrit par Lestat, le 30/06/2004
Notre verdict : 7/10 - Société de consommation... (Fiche technique)

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Société de consommation...

Tout commence lorsqu'un petit producteur décide de délaisser son bureau pour tâter de la caméra. Cet homme dont on n'attendait à priori pas grand chose voire rien, c'est Brian Yuzna qui pourtant va s'imposer par la suite, que ce soit du côté oeilleton ou tiroir caisse, comme une valeur sûre de la série B fantastique et d'horreur. Le grand public rencontre la première fois le nom de Yuzna sur le générique de l'excellent Re-Animator, petit classique du cinéma gore vaguement inspiré de Lovecraft. Sur ce film de Stuart Gordon, la Yuzna touch transparait pourtant déjà : gore, fun, sexualité étrange, un irrespect des conventions, le tout dans une ambiance inimitable et prenante. Gordon et Yuzna, par ailleurs bons amis, deviennent la paire gagnante de ce cinéma hors normes, accouchant d'un From Beyond tout aussi réussi ou encore de Dagon. Dagon qui marque l'entrée de Stuart Gordon au sein de la très hispanique Fantastic Factory, la toute jeune boîte de production de Yuzna et Julio Fernandez, où l'on retrouve des noms comme Jaume Balaguero (l'inquiétant La Secte Sans Noms) et d'où s'échappent une poignée de films rafraîchissants.

Yuzna décide donc un beau jour de passer de l'autre côté du miroir. Parmi ses premier films, Bride of Reanimator, séquelle bancale du film de Gordon ou encore le quatrième volet de Silent Night, Deadly Night, sorte de slasher avec un Père Noël tueur. Society, son premier véritable coup d'essai, bien que brouillon et trop vite expédié, s'impose indéniablement comme une référence dans le domaine de l'horreur, voir en date butoir, où Yuzna nous prouve que l'on peut encore faire un film d'auteur tout en pataugeant dans le scabreux. Nantis d'un budget plutôt faible, Yuzna se permet pourtant de recruter pour les effets spéciaux un autre grand nom du milieu : le fameux Screaming Mad George. Screaming Mad George, artiste japonais touche-à-tout ayant fait ses premières armes dans le multimédia, partage actuellement avec l'immense Tom Savini et quelques autres pointures le gâteau des légendes contemporaines du maquillage d'horreur et gore. Habitué aux génériques estampillés Yuzna (Bride of Reanimator, Faust...), assurant maquillage et/ou effets spéciaux, il s'éparpille entre Carpenter (Jack Burton), un épisode de Nightmare on Elm Street (le 4ème), Poltergeist 2 ou encore dans la musique, secteur qu'il n'aura jamais vraiment quitté, roulant sa bosse dans les clips de Dr Dre, Nine Inch Nails, Marilyn Manson ainsi que... Mylène Farmer (!). Revendiquant une passion pour le surréalisme en plus de son CV, Mad George se présente donc comme la personne toute trouvée pour mettre en forme les délires de Society.

Mais qu'est-ce donc, Society ? Découvrant ses parents proposer une orgie à sa soeur, Bill Whitney, jeune homme de bonne famille mettra à jour les dessous effrayants de la classe aisée dont il fait partie. Voilà pour le sujet, qui n'est en aucun cas un prétexte. Society est un film en deux lectures. Tout d'abord, une pure série B, totalement frappadingue, débutant dans l'univers propret d'un épisode de Beverly Hills qui s'engouffre soudain dans l'étrange pour s'achever dans l'apothéose d'une scène irrévérencieuse à souhait où la libido, l'appétit et la décadence se déchaîne. Un monde de richesse, de luxe et de bonnes manières qui bascule soudain dans une sorte de baisodrome géant où les corps se remodèlent, se fondent, s'aspirent pour une orgie finale dantesque, mêlant petit gore et une sorte de pornographie, terriblement ennivrante. Screaming Mad George, totalement déchaîné, règne en maître sur ce festival de mauvais goût, nous offrant, n'ayont pas peur des mots, rien de moins qu'une partouze de monstres plus hideux les uns que les autres. Des représentants de la haute société qui se transforment en créatures flasques, avides de la chair fraîche de ceux qui leurs sont inférieurs ou différents. Et au delà des délires jubilatoires de Yuzna, c'est bien ici qu'intervient le message sous-jacent de Society. Une lutte des classes, une critique acerbe de la richesse se construisant sur les classes inférieures, les détruisant, les dévorant. La haute bourgeoisie apparait comme une sorte de secte où ne peuvent se faire nom que ceux qui y sont nés, les plus modestes étant abominablement absorbés, ici littéralement lors d'orgies démoniaques où le prisonnier se verra tout bonnement pompé de ses fluides vitaux, mourrant pour permettre aux Supérieurs de vivre et se développer. Society oscille entre plusieurs registres, allant de la comédie barrée aux horreurs fascinantes en passant par le drame doux-amer et le constat cynique. Un film bordélique et malsain, menant en bateau son spectateur qui au final se demande un peu ce qu'il a vu. Plus qu'un film d'horreur ou même gore (bien que visuellement parlant, cela soit davantage répugnant que sanguinolant), Society est une réflexion sur un sujet engagé, un thème dont le traitement audacieux est une réussite, une métaphore bourrine qui frappe comme il faut là où ça fait mal. Un OVNI filmique, dérangeant, nauséabond et finalement atrocement jouissif à l'humour dévastateur.

Film devenu anthologique par sa seule scène finale restée inégalée, Society est un film qui se hisse au rang de classique, malgré des faiblesses indéniables. Car tout audacieux soit-il, le film a des défauts sur lesquelles on peut difficilement passer. Vite fait moyennement fait, s'enchaînent problèmes de rythme, temps morts, scènes voir personnages totalement inutiles, sans parler de l'énorme impression d'inachevée qui se dégage de l'ensemble, le tout mettant tout de même un certain temps à se mettre en place, le gros morceau de l'affaire n'étant qu'au dénouement. Ceci faisant que Society, s'il s'impose comme passage obligé de tout bon amateur d'horreur, vaut beaucoup moins que sa réputation et sans son propos litigieux s'effondrerait dans l'oubliable. Dommage.

Mais ceci n'enlève rien de la valeur de Yuzna qui remit le couvert avec des métrages beaucoup plus aboutis. Le Dentiste par exemple, thriller éprouvant qui donna la phobie de la fraiseuse à toute une génération de spectateurs...