Le silence de Lorna
Cinéma / Critique - écrit par riffhifi, le 31/08/2008 (Le dernier film des frères Dardenne dresse le portrait d'une femme piégée dans une situation révoltante. Pourtant, on reste assez loin de toute émotion ; un comble.
Le nouveau film des frères Dardenne, couronné d'un prix du scénario au festival de Cannes (dont les frangins ne sont jamais partis les mains vides), se voit acclamé par la presse qui y voit notamment, citons Libération, « une surpuissance stylistique absolue » (rien que ça). En quoi ce portrait de femme mérite-t-il ce concert d'éloges ? On se le demande un peu, à la vision d'un drame correctement mené mais loin de toute secousse émotionnelle ou de la moindre révolution formelle. Dans son genre, Le silence de Lorna s'oublie aussi vite qu'un Steven Seagal dans le sien.
Lorna (Arta Dobroshi) est une immigrée albanaise qui a épousé le camé Claudy (Jérémie Rénier) pour obtenir la nationalité belge. L'affaire a été magouillée par un certain Fabio, qui compte bien zigouiller Claudy à coup d'overdose plutôt que de
payer les frais du divorce. Car les affaires sont les affaires, et Lorna doit épouser un Russe pour lui transmettre à son tour la nationalité. C'est un peu comme de jouer à chat.
Le sujet est grave, le scénario tisse avec soin le piège dans lequel se débat le personnage principal. Rien d'exceptionnel pourtant dans un tel récit, qui justifierait de s'enthousiasmer pour un film qui par ailleurs se complait dans une totale absence d'esthétisme et de recherche formelle, se passe de toute musique et s'abstient de la moindre touche d'humour (faudrait voir à ne pas rigoler au milieu d'un drame, on ne mélange pas les torchons et les serviettes). Du côté des personnages, on retient plus le triste drogué en quête de rédemption campé par Jérémie Rénier que la pauvre Lorna, murée dans une absence d'expressivité qui empêche presque l'empathie. A l'exception de quelques scènes dans lesquelles son humanité perce, on reste à la porte de ses émotions et de ses réflexions. Car les frères Dardenne se gardent bien d'offrir la moindre clé pour la décrypter : on ne saura rien de son passé, de sa famille, on ne devinera que péniblement ses
sentiments envers sa situation et les gens qu'elle fréquente... Cette impression de devoir écrire le film soi-même a quelque chose d'agaçant, comme si elle était le résultat d'une pingrerie des auteurs, qui prétendent livrer une histoire intimiste sans toutefois oser rentrer dans l'intimité de leur personnage.
Sans nier au film la force de son intrigue, on pourra facilement trouver qu'elle se dilue dans une mise en scène démissionnaire, laissant aux acteurs le soin de se débrouiller avec leurs rôles sans pour autant les aider dans cette tâche. Arta Dobroshi et Jérémie Rénier s'en tirent du mieux qu'ils peuvent, les autres ne font que passer (attention à ne pas trop cligner des yeux, vous risqueriez de rater Olivier Gourmet). Voilà ce que c'est : on épure, on épure... et on oublie de faire du cinéma. Nul doute cependant qu'un peuple entier de Cannois enfiévrés et de fans des Dardenne en particulier trouvera matière à contredire ce point de vue...