7/10Rubber, Mr Oizo ne se dégonfle pas

/ Critique - écrit par nazonfly, le 03/02/2011
Notre verdict : 7/10 - Quentin Dupneu pète une durite (Fiche technique)

Tags : film rubber cinema dupieux quentin oizo pneu

Rubber est l'histoire d'un pneu tueur. Cette simple phrase a sans doute convaincu un étrange producteur de lâcher quelques dollars sur un film qui pouvait virer au chef d'œuvre humoristique ou au slasher routier. Il n'en est rien puisque Rubber hésite entre un film d'horreur tout mou, un essai bizarroïde sur la façon la plus limitée de décrire la vie d'un serial killer et une non moins étrange réflexion sur le rôle du spectateur dans le déroulement d'un film.

Quand un film commence avec un plan sur une chaise dressée sur une route poussiéreuse, en plein milieu du désert, quand le plan s'élargit et que ce n'est pas une chaise mais une dizaine de chaises oubliées sur cette route, quand une voiture surgit, renverse les chaises comme un skieur abat des portes, quand un policier sort de cette voiture et commence un long laïus sur l'importance du « no reason » dans quelques grands films (pourquoi E.T. Est-il marron ? No reason), comme dans la vie elle-même, alors on se dit que Rubber sera forcément une expérience étonnante et absurde. D'autant plus que le personnage principal du film est un pneu (joué par Robert), un pneu tueur qui dévoile une vraie personnalité. Avec son scénario étrange, Rubber joue volontairement sur plusieurs niveaux de lecture possibles, sans pour autant en donner les clés : il est un film d'horreur à l'intérêt limité, un essai artistique sur la représentation d'une personnalité sans l'habituel support humain ainsi qu'un questionnement sur le rôle du spectateur.

Massacre à la chambre à air


Lapin, laaapin, laaaaaaaapin
L'histoire d'un tueur en série, fut-il un pneu, contient forcément une plus ou moins grande dose d'horreur et de frayeur. Nous sommes loin d'un film d'épouvante qui vous fera sursauter à la moindre scène, mais plutôt dans la série B qui multiplie les explosions d'animaux et surtout de visages : grâce à ses pouvoirs, le pneu tueur fait à volonté éclater les têtes, ne laissant qu'un magma sanglant et quelques morceaux ici et là. Ce genre de violence entraîne en général dégoût, angoisse, frayeur. Pourtant il n'en est rien dans Rubber. Le pneu n'est pas réellement inquiétant. Pire même, on ne tremble que rarement pour les humains qu'il croise sur son chemin, même si l'on sait pertinemment qu'ils ne passeront pas les prochaines minutes. Comme si l'essentiel était ailleurs. Comme si le côté tueur en série du pneu était secondaire.

Roue-présentation impossible


To roll or not to roll
Peut-être faut-il alors voir dans Rubber une expérimentation sur ce que l'on peut représenter au cinéma. Le fait de choisir un pneu peut paraître franchement absurde, mais cela permet à Quentin Dupieux de réduire au maximum les qualités intrinsèques de son personnage. Un pneu ne parle bien entendu pas, il n'a aucune logique à laquelle on pourrait se raccrocher. De par sa forme, il ne peut se mouvoir que dans une seule direction. Pire, il n'a ni avant, ni arrière, ni côté gauche, ni côté droit. Et pourtant, malgré cette absence évidente de fondation solide, le réalisateur français parvient à donner vie à son pneu, à lui faire exprimer des sentiments (la colère, le désespoir, mais aussi l'amour et la nostalgie). Dans les premières minutes du film, on assiste ainsi à la naissance du pneu, à ses premiers tours de roue facilement assimilables aux premiers pas maladroits d'un enfant. Un enfant qui aurait grandi sans notions du bien et du mal et qui régirait sa vie à sa convenance, éliminant les personnes qui lui barrent la route. La quête de sens de Rubber passe sans doute par cette expression de la représentation.

Mise en abitume


Du pneu que je vois, ça roule
L'autre aspect important du film est ce questionnement sur le rôle du spectateur. Ainsi le pneu commet ses méfaits sous le regard d'une dizaine de spectateurs perchés sur une proche colline, les yeux rivés à des jumelles, comme le film se déroule sous le regard de dizaines de spectateurs dans la salle. Cette mise en abyme révèle les sentiments du spectateur, attendant qu'il se passe quelque chose, attendant une fin au film et, si possible, une fin plausible et cohérente, même s'il doit pour cela souffrir mille morts devant un film qui n'a aucun sens. Mais la présence de ces intermédiaires entre le pneu et le spectateur en chair et en os brouille encore plus les pistes et concourt à faire de Rubber un film à part, un film dont on peine en réalité à trouver la finalité.

Et si toutes ces explications étaient vaines, que le maître-mot du film soit justement ce « No reason » exposé en ouverture et en fermeture ? Et si même cette scène d'ouverture était complètement inutile, comme le suggère le réalisateur dans ses interviews ? Et si Rubber était juste un film absurde, sans rime, ni raison ? Et si tout le reste n'était que masturbation intellectuelle de critiques désœuvrés ?