Romanzo criminale
Cinéma / Critique - écrit par Lestat, le 31/03/2006 (Tags : film libanais criminale romanzo histoire cinema cataldo
A partir de la fin des années 60 puis durant les années 70, l'Italie est la proie d'attentats et de troubles en tout genre, période que l'on connaît désormais sous le nom des "années de plomb". Le cinéma ne tarda pas de faire écho à cette ambiance explosive, livrant des oeuvres dont les plus ambitieuses se portèrent aux frontières du documentaire. Des films comme Enquête sur un citoyen au dessus de tous soupçons, Lucky Luciano, les 100 Jours de Palerme, autant de témoignages d'une Mafia en phase avec le gouvernement, d'évènements internes tendus ou de jeux politiques nébuleux. A côté de cela éclosent des polars à vocation plus populaires mais porteurs du même message : police aux mains liées, crainte du peuple, incompétence ou corruption du système... Si l'on échappe pas au schéma du flic inflexible qui met les pieds dans le plat, le polar italien s'attache également à montrer un banditisme issu de la rue ou des basses couches, dont les membres partent à la conquête d'une ville qui ne leur à que trop rarement laissée leur chance. Entre réalité historique d'une époque et fiction s'attachant au destin de trois gagne-petits visant le marché narcotique de Rome, Romanzo Criminale s'impose comme l'héritage de tout ceci, à quoi il convient de rajouter des films de gangsters comme les Affranchis, Scarface, le très dur Balle dans la Tête de John Woo, où trois délinquants s'entredéchirent face à la fortune, et bien sur, Il Etait une fois en Amérique. Oui, Romanzo Criminale est de ce bois, la flamboyance en moins.
1975. A sa sortie de prison, le Libanais retrouve ses amis d'enfance, Le Froid et le Dandy. Rapidement remis dans l'illégalité, le Libanais en a bientôt assez du menu butin. Avec sa bande, il décide de s'offrir Rome. Entre drogue, jeu et prostitution, ils seront pris et utilisés malgré eux dans la tourmente qui ébranle alors la ville...
Trois paumés en quête de reconnaissance et de pouvoir, un policier intègre qui patauge, une femme fatale et une autre par qui les problèmes arrivent. L'assassinat d'Aldo Moro, l'attentat de Bologne, les Brigades Rouges. La fin d'une époque. Romanzo Criminale est le point de convergence des deux, entre la petite histoire et celle avec un grand H, un film de gangsters à la trame classique entrecoupé d'images d'archives faisant partie intégrante du récit. A mi-chemin entre Scorcese et Francesco Rosi, voir, le Terence Young de Cosa Nostra, Michele Placido parle politique, un peu, sous-entend magouille, beaucoup, glisse au passage que tout le monde est pourri, interroge sur qui tire les ficelles. Et nous assènes finalement que certains agissements en hauts lieux ne sont pas moins répréhensibles que ceux d'une poignée d'agitateurs. Placido se complait dans le complot, et enfonce une porte béante ? Qu'importe s'il le fait avec brio et subtilité. Au milieu, des malfrats aux tronches burinées, véritable défilé de surnoms à coucher dehors : Fil de Fer, le Rat, le Noir, le Sec, le Terrible... Plaisir régressif mais tellement jouissif que de côtoyer cette faune, où surnagent un tueur à gage androgyne et un parrain raffiné, le tout entrecoupé de règlements de comptes dont on se surprend à constater l'élégance indéniable. Que ça soit dit, l'un d'eux restera comme un des plus beaux vu sur un écran.
"Ils ont oublié d'où ils viennent" dit le Libanais, dégoûté de voir Rome aux mains de loups aux dents émoussées par l'argent. Ce qui sépare le Libanais, le Dandy et le Froid d'un triple Tony Montana, c'est leurs lucidité, leurs racines qui restent enfouies en eux. Ils n'ont jamais rien eu et veulent tout, mais en gardant la tête froide. C'est leurs destins que l'on suit, passant d'un personnage à l'autre jusqu'à l'inévitable chute. Trois amis, portés par un idéal, têtes d'une meute arpentant le bitume armes à la main, crachant littéralement à la gueule de la bourgeoisie. Balle dans la Tête était cité précédemment, force est de constater qu'il y a des thèmes voir des effets de style chers à John Woo dans Romanzo Criminale, qui passe inexorablement du pur film de genre à la tragédie. Amitié, loyauté, trahison, des valeurs qui comptent plus que tout au sein du trio. Des valeurs qui causeront leurs pertes.
Couleurs grises et réalisation à hauteur d'homme, Romanzo Criminale perd en majesté ce qu'il gagne en ambiance et en réalisme. Le film n'en reste pas moins particulièrement nerveux dans ses deux heures et demi qui filent sans que l'on s'en rende compte. Quelques fulgurances sont à noter, principalement concentrées dans le début du film, construit de manière très décomplexée. Un sentiment qui ira en s'estompant au fur et à mesure que le film avance, jusqu'à un dernier acte très sombre et dépouillé. La violence est là, explicite ou hors champ, mais toujours sèche et inattendue. Bologne nous explose au visage. Incompréhension, confusion, horreur, le spectateur est aux première loges, au coeur de l'évènement tandis que le film se mue en JT local.
Bien écrit, bien fait et interprété avec charisme et talent -le Libanais crève l'écran !!-, Romanzo Criminale nous fait vivre par les yeux de trois petites frappes la peinture d'une époque et d'une ville présentée par ses bas-fonds. Un film-bilan, brassage émouvant et jubilatoire de tout un pan de cinéma, lâchant une vision âpre des années de plomb entre deux passages obligés du genre. A la fois dur et ludique, Romanzo Criminale assume ses influences, trouve son propre style et devient au final ce qu'il convient d'appeler un grand film. Un de ceux qu'on oublie difficilement, et qu'on va voir au cinéma pendant qu'il en est encore temps. D'une manière plus sérieuse, Romanzo Criminale a tout du classique en devenir, et son bide relatif dans sa patrie d'origine n'augure rien de bon quand à sa carrière en salle. Pourtant, rares sont les films de cette trempe, rares sont les films où au visionnage on se prend à grimacer de jubilation, tout simplement parce qu'on avait oublié qu'ils existaient ailleurs qu'en DVD. Romanzo Criminale est du vrai et bon cinéma, qui n'oublie pas de nous servir une leçon d'histoire au passage. Malgré quelques défauts négligeables mais réels -trop plein de personnages pas toujours bien géré, choix musical parfois étrange-, rien que pour son capital plaisir, sa richesse et ses jeux d'acteurs, Romanzo Criminale mérite sa place parmi les oeuvres, peut-être incontournables, et dans tous les cas, à soutenir. Dont acte.