Un prophète
Cinéma / Critique - écrit par nazonfly, le 08/09/2009 (Tour de force : Audiard réussit à faire naître un souffle novateur dans le cinéma français. Résultat : un Grand Prix à Cannes pas immérité.
Grand Prix au dernier Festival de Cannes (2008), Un prophète de Jacques Audiard (Sur mes lèvres, De battre mon cœur s'est arrêté) a été unanimement encensé par la critique : admirable, époustouflant, miracle, éblouissant, magistral... A tel point que ce prophète s'annonçait comme le meilleur film français de tous les temps. S'il reste un vraiment très bon film, on a quand même du mal à être aussi enchantés que le reste de la critique.
La prison comme décor
Marcher dans le désertDans sa forme, Un prophète est quasiment un huis clos. Le héros Malik El Djebena, joué par un acteur inconnu mais qui éclabousse pourtant le film de sa présence, vient de prendre 6 ans de prison pour une histoire dont on ne sait pas grand chose. De l'entrée de la prison à la sortie, Audiard va nous conter la vie et l'évolution de ce mec sans famille, sans argent, sans avenir. Là où d'autres réalisateurs auraient sans doute fait de l'enfermement et des conditions de détention un pamphlet sur les Droits de l'Homme et contre le gouvernement, Jacques Audiard louvoie et apporte une vision plutôt originale : la prison n'est que le support, le décor de l'histoire contée. Bien sûr, le réalisateur ne se voile pas la face et n'oublie pas de montrer les luttes de pouvoir, la corruption, les bastons, les trafics, les meurtres même sous couvert de suicide. Dans cet univers de violence et de luttes de pouvoir, le jeune Malik va passer les étapes et prendre du poids dans, et en dehors des grilles. Certes Un prophète peut sembler plutôt pessimiste en montrant l'échec de la détention et de la réinsertion des détenus, mais Audiard ne semble pas présenter cette évolution comme inexorable. L'histoire de Malik n'est qu'une histoire parmi d'autres, la conclusion d'une série de choix plus ou moins volontaires.
Le mysticisme comme décor
Tendre l'autre jouePourtant il y a sans doute plusieurs niveaux de lecture dans Un prophète. Le titre lui-même indique une volonté manifeste de s'insérer dans un contexte mystique. Si le chemin de Malik a tout du chemin initiatique, du meurtre primordial commun à de nombreuses cosmogonies à l'exil méditatif, on a l'impression qu'Audiard va pêcher des éléments spirituels dans plusieurs religions pour développer son propos. Malik le non-croyant est perdu dans son héritage culturel, français et arabe. Il est ainsi hanté par un fantôme, mi-ange gardien, mi-derviche tourneur, qui lui prodigue conseils et visions prophétiques. Mais il semble aussi attiré par ses « reufré » musulmans en train de prier. Les symboles se glissent dans le film, apportent quelques bouts de piste mais sont finalement vite oubliés. Malik est-il un prophète, un sauveur ? On est en loin. Pour Audiard, ce prophète n'est justement qu'« un petit prophète, un nouveau type de mec ». Et c'est une nouvelle fois l'histoire qui l'emporte sur les symboles, comme elle l'emporte sur les combats du monde pénitentiaire. Un prophète n'est que l'histoire d'un mec qui se découvre et se construit, paradoxalement, grâce à la prison. Sans aucun jugement moral.
Loin des films français sclérosés par une frilosité qui les fait rester dans des chemins battus et rebattus, Un prophète se démarque par une originalité de ton et de traitement rarement vus. Avec sa caméra crue et implacable, Audiard nous offre un film de gangster brillant, un thriller qui tient en haleine malgré les 2h30 du film. Pour un peu on oserait presque qualifier l'œuvre d'Audiard de film américain tant il s'écarte des tics de réalisation français et se rapproche d'un traitement du gangster à la Scarface.