7.5/10Nikita

/ Critique - écrit par Jade, le 03/09/2006
Notre verdict : 7.5/10 - La grande brune (Fiche technique)

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Dans ma jeunesse, mon grand-père me prenait souvent sur ses genoux, et me parlait ainsi :
'Tu vois fiston, de nos jours, c'est très simple, on peut distinguer trois types de réalisateurs en France. Les premiers, ce sont les dinosaures, qui se croient encore dans les années 70, des vestiges de la nouvelle vague qui ennuient encore tout le monde avec leurs films d'intello à deux balles.
Les deuxièmes, ce sont les nouveaux réalisateurs qui savent pas tenir une caméra et qui n'ont comme modèle que les vieux dinosaures dont je te parlais plus haut, ou, pire, les réalisateurs américains, qu'ils essaient d'imiter avec un budget ridicule.
Bien sûr, les deux catégories sont cumulables.
Puis, la troisième catégorie, c'est la catégorie
Luc Besson. Tu vois gamin, Luc Besson, c'est un mec cool. Il fait des bons films, il a un style de narration unique et parfois même génial. C'est un type qui peut faire bouger les choses...'
Fortement impressionné par les propos de mon grand-père, Je ne les ai jamais remis en question, et c'est en partie pour cela que je vous présente Nikita comme un grand film du cinéma français. Pas un chef-d'oeuvre, certes, mais une oeuvre solide sur tous les plans, annonçant à bien des égards Léon du même réalisateur, qui celui-là, présente tous les caractères du chef-d'oeuvre. Une fois de plus, les spoilers seront nombreux, et ne vous aventurez donc pas dans cette critique sans avoir vu le film.

Nikita est le surnom d'une jeune junkie (Anne Parillaud) sauvée de la prison par un très sérieux agent des services secrets (Tcheky Karyo) pour des raisons pour le moins mystérieuses. Celle-ci sera formée à devenir une tueuse, jusqu'au jour où elle est relâchée dans la nature comme agent à la solde du gouvernement. Elle rencontre Marco (Jean-hughes Anglade) qui deviendra son amoureux. De nombreux dilemmes s'ensuivront.

Le personnage de Nikita est un personnage qui se caractérise par sa dualité. D'une part, c'est une gamine qui a mal grandi (son surnom provient d'une chanson enfantine), qui souffre du contact avec le monde réel, l'expression du malaise de la jeunesse en somme. Il faut bien entendu remettre le film dans son contexte, à savoir la fin des années 80, ce que le début du film fait par ailleurs très bien.
D'autre part, Nikita, grâce à celui que nous ne connaîtrons que sous le nom d'Oncle Bob, devient une femme dans le sens où elle apprend lors de son 'stage' non seulement à manipuler une arme, mais aussi à bien se comporter en société, à prendre goût à se faire belle et employer son charme, etc.
Toute l'histoire repose sur cette dualité dans la mesure où le brave Oncle Bob tombera amoureux de Nikita-femme (qui ne se manifeste naturellement que lorsqu'il s'agit de boulot), alors que Marco, ignorant la profession réelle de sa petite amie ne connaîtra que la Nikita-gamine.

Alors que le personnage de Marco est plus ou moins relégué au second plan en ce qui concerne l'aspect psychologique, l'Oncle Bob est un personnage très intéressant à étudier.
Pour commencer, on ne connaît pas vraiment les motivations qui l'ont poussé à sauver Nikita de la prison. On voit pourtant clairement que Bob risque dans un premier temps sa place auprès de ses chefs en défendant une droguée socialement inapte. Interprétons ce geste comme de la pitié pure, et une envie très honorable de donner une seconde chance à une pauvre fille (geste d'autant plus honorable que, nous l'apprendrons à la toute fin du film, le crime pour lequel elle est condamnée est celui du meurtre d'un ami d'Oncle Bob).
Dans les scènes qui confrontent Bob et Nikita-fillette, c'est clairement le personnage de Tcheky Karyo qui a le dessus. Grâce à un goût de la fantaisie assez inattendu pour un personnage de sa carrure (cf le surnom qu'il se donne à lui-même : Oncle Bob), il impressionne et domine presque Nikita, qui ne connaît au départ que la violence pour se défendre.

La relation s'inverse clairement quand c'est à Nikita-femme que Bob à affaire. Manifestement peu enclin à montrer ses émotions (qui tout aussi manifestement le dépassent), il s'enferme dans une indifférence presque enfantine, parfaitement bien jouée par Karyo. Ainsi fait-il semblant de lire le journal juste avant sa dernière entrevue amoureuse avec Nikita, et étouffe-t-il sa jalousie envers le personnage de Marco, le tout en gardant une prestance hors du commun, ce qui semble être son souci principal.
Son désir de paraître impassible face à Nikita (car avouer ses sentiments reviendrait à s'avouer perdu, peut-être parce qu'un homme comme Bob ne sait absolument pas comment réagir face à l'amour), sa fierté qui l'empêche de lui déclarer ouvertement la portée de son amour pour elle (sauf dans la scène de leur séparation, scène où, paradoxalement, on apprend pour la première fois que quelque chose s'est passé entre les deux personnages), se transforme assez vite en un désir tout aussi refoulé que destructeur à l'encontre de Nikita. Une scène, à nouveau, traduit parfaitement cette métamorphose, il s'agit de celle où l'Oncle Bob invite Nikita à dîner pour la première fois. Intention romantique plus que louable, pourrait-on se dire, sauf que le dîner en question se révèle assez vite être la première mission de Nikita, mission qui va presque lui coûter la vie suite à une 'erreur' dans les informations données par Bob. Plus tard dans le film, avec les données adéquates en main, le spectateur pourra émettre l'hypothèse que plutôt que de voir partir Nikita, dont la réinsertion sociale est imminente, Bob aurait préféré qu'elle meure.
Ce genre de manoeuvre deviendra assez vite typique de Bob, qui se spécialisera dans les cadeaux empoisonnés du même genre.

La deuxième partie du film voit l'entrée en scène du personnage de Jean-Hughes Anglade, personnage manifestement moins important que les deux autres, mais assez poignant dans la mesure où il sera la victime du jeu sadique de Bob et de la situation assez particulière de Nikita.
Marco est en quelque sorte le partenaire idéal pour Nikita-fille : sa personnalité assez simple, ainsi que sa franchise font de lui un grand gamin qui ne travaille que par nécessité (il est caissier), et dont la vie est dédiée à dire et faire des bêtises. Pas étonnant que la gamine mal élevée qu'a toujours été Nikita soit instantanément séduite par lui. Leur rencontre se fait par ailleurs à l'instinct.
Contrairement à Bob, Marco n'hésite pas à montrer ses sentiments, qui sont amplement partagés par Nikita. Le problème, c'est le boulot. En tant que grande gamine, Nikita ne se pose pas trop la question de savoir si le fait de vivre à deux alors qu'elle mène une double vie entrainera des complications. Et comme on peut s'en douter, la question sera vite posé. Marco, qui voue une confiance aveugle à sa chère et tendre, ne met pas en doute ses sentiments, mais sent qu'il y a clairement quelque chose qui cloche, et qui avec le temps devient de moins en moins supportable. On le voit dans cette scène ou Nikita doit sniper un méchant enfermée dans la salle de bain, tout en faisant croire à Marco qu'elle prend un bain, alors même que celui-ci décide de lui faire part de ce qui ne va pas. Ce passage, un des plus intelligents écrit par Besson, retranscrit parfaitement le rôle de chacun des personnages : Nikita perdue entre le boulot et ses sentiments, obligée néanmoins de garder le silence ; Marco précisément torturé par ce silence qu'il entend comme une sorte de rejet presque explicite et par ce mur et cette porte qui l'empêchent de connaître le fond de l'âme de Nikita. Et bien entendu, ce satané Bob, qui pas vraiment là, donnant des instructions à son agent par oreillette, et mettant tout en scène, se délectant d'être au courant du secret que Marco ne connaît pas, et d'être par ce truchement plus proche que son concurrent ne le sera jamais de Nikita.

Bien entendu, tout a une fin, et la conclusion fait tomber les masques. Le personnage de Tcheky Karyo et celui de Jean-Hughes Anglade ne s'étaient rencontrés qu'une fois au cours du film, lors d'un dîner qui aurait pu être une déclaration de guerre. Mais ce n'était pas la volonté de Bob, qui ne se sent pas à l'aise en terrain découvert. Bien plus simple en effet de se créer ce personnage de l'Oncle Bob ; qui, finalement, reflète assez bien son lien avec Nikita, aux yeux de Marco, en tout cas ; et de taper par derrière.
La dernière scène montre les deux hommes face à face, Nikita disparue, là encore pour des raisons à la fois professionnelles (elle est recherchée - par Bob bien sûr - pour avoir dérobé des documents d'ambassade) et personnelles (elle ne peut plus vivre avec - qui a percé à jour son secret). La guerre froide n'a plus de raison d'être, et la note finale montre à quel point ces deux opposants, dont les intérêts comme les personnalités entrent en conflit se retrouvent avec un passé et un souvenir commun qui les lie plus que n'importe quel trait de caractère.

C'est plus par sa violence esthétisée que Nikita se rapproche de Léon. Puis il faut noter la présence d'un Jean Reno assez effrayant en tueur professionnel l'espace d'une conclusion tragi-comique. Mais par ses propos, Nikita est un film qui n'a rien d'un brouillon préparatoire, comme j'espère avoir pu le montrer ici. Cependant, l'action est moins percutante, le budget moins élevé que dans Léon, ce qui fait que ce film risque fort bien de rester dans l'ombre de son petit frère.