Maniac
Cinéma / Critique - écrit par Lestat, le 01/03/2006 (Tags : maniac series netflix anglais saison annie owen
L'éloge de la folie
Un homme en sueur, le visage rouge distendu par l'effort, étranglant à mains nues une prostituée à grand renfort de grognements et de gémissements. Interminable minute qui ressurgie lorsque l'on vient à évoquer Maniac, lorsque ce n'est pas tout simplement son affiche mythique qui dans les années 80 présentait à la face du passant un scalp fraîchement coupé, précédé d'un jean garni d'un début d'érection. Interdit aux moins de 18 ans à sa sortie, interdit de salles tout court en France jusqu'en 1982 -il sera entre temps distribué en vidéo par René Château, dans sa fameuse collection des "films que vous ne verrez jamais à la télévision"-, Maniac fait partie de ces oeuvres au parfum sulfureux qui au fil du temps, ont fini par devenir culte.
C'est à la fin des années 70 que William Lustig décide de quitter l'érotisme qui faisait son fond de commerce pour d'autres horizons. Sa filmographie parlera alors d'elle même : Maniac donc, Vigilante -et son Fed Williamson qui se prend pour Charles Bronson-, la trilogie Maniac Cop -et son Robert Z'Dar en flic maniaque (!)-, Uncle Sam -et son zombie républicain-...Si l'homme s'est reconverti depuis dans la production et la distribution, Lustig s'est imposé le temps de quelques films comme un cinéaste qui sait filmer la rue, s'inspirant du milieu urbain comme le firent Ferrara ou Henenlotter, l'élégance en plus. Alors que le cinéma d'horreur se remet tant bien que mal d'Halloween, William Lustig entreprend donc son nouveau départ et fait appel à un vieil ami, l'acteur Joe Spinell, pour tourner une histoire de serial killer. D'abord peu emballé à l'idée de tourner un tel film, Spinell fini par se faire bon prince, signant lui-même le scénario de ce que deviendra Maniac. Un scénario qui, comme le voudrait l'époque, ne s'inspire pas de Carpenter, mais trouve ses racines profondes dans une poignée de films vénéneux, passés aujourd'hui ou non à la postérité. Psychose bien entendu. L'Etrangleur de Rillington Place, où l'on retrouve un tueur au souffle rauque et saccadé. Frenzy d'Hitchcock, et sa longue scène de strangulation. Mais il y a toutefois un film avec lequel Maniac entretient une filiation évidente : Une Hache pour la Lune de Miel, de Mario Bava. Oeuvre assez atypique, Une Hache pour la Lune de Miel permet à Bava de quitter la veine giallo qu'il a initié lui-même -nous sommes en 1969, le genre ne décollera qu'avec Argento- pour une veine bien plus psychologique et torturée, où le spectateur ne suit plus le quotidien d'une victime, mais celle d'un tueur vivant dans une maison remplie de mannequins...Dérangeant et traversé d'expérimentations visuelles hallucinantes, Une Hache pour la Lune de Miel est un film au pouvoir de fascination inchangé, et sans doute l'un des meilleurs de son auteur. Fort de cette référence, Lustig, qui n'a jamais caché son intérêt pour le cinéma italien, va développer pour Maniac une approche un peu bâtarde, dureté froide à l'américaine où se greffe une influence italienne totalement assumée, se traduisant par un certain goût pour le sadisme, une dimension presque érotique du meurtre et ces longues traques, passages obligés du giallo, achevant de donner à Maniac son aura étouffante. On notera également un petit clin d'oeil à Opération Peur, bouclant la boucle.
Une femme assassinée sur une plage. Un homme qui se réveille en geignant. L'introduction de Maniac donne le ton et dès lors, le spectateur n'en fini plus de plonger dans l'esprit malade de Frank Zito, solitaire obsédé par sa mère qui tue et scalpe pour se défaire d'un trauma. Maniac a beaucoup fait parler de lui pour son réalisme, se retrouvant placé à la même étagère que des films comme Henry, Portrait d'un Serial Killer, sa trame, davantage ancrée dans le film de psychokiller que dans le slasher-movies, aidant bien à la chose. Pourtant, Maniac et Henry sont tout à fait dissemblables. Là où le film de John Mc Naughton (1986) cultivait effectivement un réalisme cru, porté par son Michael Rooker "vide" et sa conception en 16mm lui donnant un aspect documentaire et crade, Maniac au contraire joue avec une certaine outrance, injectant ce grain de folie et l'alchimie qui manque à la plupart des films de ce genre. Une outrance que l'on retrouve tout d'abord dans la confection du film, jouant davantage avec les codes du films d'horreur que ceux de la réalité. Tueur au don d'ubiquité, silhouette à contre jour, nuit embrumée, jusqu'à cette hallucination manquant de faire basculer le tout dans le film de Mort Vivant, où Zito, pris de crise dans un cimetière, voit soudain le cadavre de sa mère sortir de terre et l'étrangler. Mais l'outrance de Maniac passe avant tout par la prestation effarante de Joe Spinell. Passant d'un état placide à celui de bête tourmentée, les yeux écarquillés, le visage congestionné, bafouillant des bribes de phrases incompréhensibles, Joe Spinell ressemble littéralement à un fou furieux échappé de l'asile. Un jeu complètement névrosé qui entrera dans les annales sombres du septième art, livrant là l'interprétation sans doute exagérée, mais paradoxalement la plus convaincante d'un serial killer. L'outrance de Maniac se trouve également dans son approche de la violence, bien que celle-ci trouve la modération nécessaire séparant l'explicite du grand-guignol. Prenant à contrepied l'usage voulant que la tension découle de la suggestion, Maniac ne nous épargne rien, ou si peu. Tom Savini, au sommet de son art, nous inflige scalps au rasoir, éventration à la baïonnettes, démembrement onirique, jusqu'à cette célèbre séquence où un automobiliste, joué par le maquilleur lui-même, se fait exploser la tête au fusil, autant de scènes sanglantes filmées sans beauté ni artifice, accentuant le malaise d'un film qui, quelque part, nous entraîne en plein voyeurisme. Car Maniac ne nous met pas dans la peau d'un tueur, mais dans sa tête. Une visite dans un psyché dément, où l'on suit la souffrance et les angoisses d'un homme tuant par nécessité, par réflexe de survie davantage que par envie. De là, le film quitte son aspect horrifique pour une densité bien plus dramatique. Il est question ici d'un homme malade, en proie à des pulsions qu'il ne peut contrôler, prisonnier de lui même. Sa rencontre avec une jeune photographe (Caroline Munro) sera un temps son échappatoire, sa porte de sortie, bien vite refermée alors que sa nature reprend le dessus. Si les actes de Zito sont effrayants, l'homme une fois les armes posées n'est plus qu'un être pathétique, une existence traumatisée, sans attaches dans un appartement miteux, qui voit sa raison s'envoler en en ayant pleinement conscience.
Sinistre, glauque et finalement triste, Maniac nous emmène là où un film l'aura rarement fait, au coeur de la folie d'un tueur par la force des choses. Si affirmer que Maniac a inventé quelque chose serait un petit mensonge, en témoigne ses inspirations directes et indirectes -un film comme Deranged serait également à citer-, il y a clairement eut un "après-Maniac". Quelques slashers bien sales des années 80 comme Rosemary's Killer ou Carnage y trouvèrent sans doute inspiration pour leurs débordement graphiques. D'aucun diront qu'Henry, toujours lui, ne serait pas le même sans Maniac. Un film comme Nekromantik serait aussi, dans sa démarche, à placer dans la lignée du film de Lustig. Pour le fun, n'oublions pas les Maniac Ceci, Maniac Cela qui ont émergé de-ci de là. Le propre d'un film culte est de ne pas s'oublier et non, Maniac ne s'oublie pas. Impossible d'oublier cette scène à la limite de l'insoutenable où une infortunée infirmière se fait trousser par Zito dans une station de métro sordide. On n'oubliera pas ces images d'un homme, effondré sur son lit, voyant dans sa démence sa propre mort se matérialiser, au cours d'un déchaînement aussi sanglant que malsain ramenant au film de cannibale.
Et l'on oubliera pas le visage immortel de Zito, Joe Spinell, qui quitta la scène en 1989, à l'âge de 53 ans...