Le loup-garou de Londres
Cinéma / Critique - écrit par Lestat, le 29/03/2004 (Méfiez-vous de la pleine lune...
Perdus dans la campagne anglaise, David et Jack se font attaquer par le lourd secret que gardent les habitants d'un village voisin. Jack n'y survivra pas. Recueilli à l'hôpital de Londres, David tente de comprendre ce qui s'est passé cette fameuse nuit. On lui dit qu'il a été attaqué par un homme. Lui est convaincu que l'agresseur est animal...
Parmi les créatures du fantastique, le Loup Garou reste sans doute avec le vampirisme le mythe le plus exploité au cinéma, ainsi que l'un des plus anciens. On peut faire remonter les premières tentatives de lycanthropie à l'année 1913 avec le Werewolf d'Henry Mc Rae. Différentes écoles s'y attachèrent par la suite. Citons la Universal, qui complètera son bestiaire avec un Wolf Man en 1941. Universal officie à l'époque dans le fantastique gothique et fidèle à son approche théâtrale (des acteurs comme Bela Lugosi ou Boris Karloff sont rattachés à la firme) confiera le rôle-titre à Lon Chaney Jr. pour un film considéré encore aujourd'hui comme l'un des meilleurs sur le sujet. Autre continent, autre époque, autre style, la célèbre compagnie anglaise Hammer fera de même en 61 avec une Nuit du Loup-Garou laissée aux bons soins de Terence Fisher, réalisateur plus connu depuis pour ses Dracula avec Christopher Lee. Classiques, comédies, parodies, cross over (Universal lâcha un Frankenstein contre le Loup Garou en 43), navets... le lycan comme le vampire finit par évoluer et quitte ses atmosphères embrumées pour le béton des grandes villes modernes.
En 1981, John Landis prend la caméra pour apporter sa propre vision du monstre. Landis, cinéaste à la filmographie à cheval entre deux genres distincts, a déjà livré entre autres Schlock, son premier film ancré dans le fantastique, le musical et déjanté Blues Brothers, ou encore Kentucky Fried Movie, film parodique à sketchs en collaboration avec des pointures du registre comme Abraham Zucker. Il revient ici à ses premiers amours avec une oeuvre qui entrera dans la légende : Le Loup-Garou de Londres.
Autant le dire de suite, ce n'est sûrement pas par la qualité de son scénario que le Loup-Garou de Londres a acquis son succès. Conventionnelle histoire de morsure suivie de transformation, le film fait à ce niveau plutôt office de cliché. Là où Le Loup-Garou de Londres tire son épingle du jeu, c'est par son ambiance, cocktail subtile de comédie noire et d'épouvante pure, et surtout par ses effets spéciaux qui en plus de 20 ans n'ont pas pris une ride et qui permettent réellement d'affirmer qu'au niveau du film lycanthrope et de monstres en général, il y eut un avant et après Loup-Garou de Londres. Aux côtés de Landis viendra donc se greffer le nom d'une autre légende qui aujourd'hui n'a plus à faire ses preuves : Rick Baker.
Quand Rick Baker s'embarque sur le projet, John Landis ne lui est pas inconnu. Les deux hommes ont déjà travaillé ensemble à l'occasion de Schlock, où Baker créera un costume d'homme-singe. Maquilleur de formation, le bonhomme commence par ailleurs à se faire connaître dans le milieu, s'illustrant chez De Palma (Furie, film par ailleurs plutôt médiocre), chez George Lucas (les extraterrestres de la taverne spatiale de Star Wars, c'est lui !) ou encore dans le remake de King Kong de 1976. Pour l'anecdote, parmi les quelques personnes de l'entourage de Baker se trouvait un certain Rob Bottin qui réalisera plus tard l'impressionnante créature de The Thing de Carpenter ainsi que les... loup-garous du Hurlements de Joe Dante qu'il tourne à la même époque. Le duo Landis / Baker marque la rupture avec les transformations hors champs ou les couches de poils superposées durant le montage. Ici, c'est une véritable métamorphose qui s'opère : les griffes poussent, les museaux s'allongent, les canines grandissent, le bipède se transforme en quadrupède. Un travail extraordinaire qui montre rien moins qu'un homme se changeant en loup dans la douleur dont aucune étape n'est camouflée. L'idée originale de John Landis était d'ailleurs de tout filmer en plan séquence, proposition qui a été abandonnée. En plus d'être techniquement superbe, la bête de Rick Baker est différente et renoue avec les origines profondes du mythe. Le plus souvent représenté à l'écran sous forme définitive d'un hybride mi-homme mi-loup, le Loup-Garou est ici une énorme créature marchant sur ses quatre pattes n'ayant plus rien d'humain, permettant toutes les scènes de sauvageries. Monstre artificiel oblige, les tueries, elles, se déroulent souvent hors caméra, ce qui n'empêche pas Le Loup-Garou de Londres d'être truffé de scènes gores et de passages anthologiques. Transition toute trouvée pour évoquer après le travail du maquilleur, celui du réalisateur.
John Landis qui va avec Le Loup-Garou de Londres mixer ses influences et ses savoir-faire pour livrer à défaut d'un réel film de terreur une sorte de fausse comédie horrifique. Un film amusant, puis inquiétant et finalement profondément dramatique. Bien entendu, on ne retrouvera pas ici la flamboyance des oeuvres de la Universal, ce qui n'empêche pas Landis de soigner ses ambiances, promenant le spectateur dans des landes sinistres, la fausse sécurité d'un appartement chaleureux ou dans le décor fascinant d'une station de métro déserte, où le réalisateur semble soudain se débrider pour une traque hypnotisante et inéluctable offrant sans doute là l'une des meilleures séquences du film. Si le subjectif est maîtrisé, John Landis passe également par le Grand Guignol avec la même réussite, où il retrouve ses réflexes de comédies potaches. Le héros se voit ainsi hanté par son ami Jack, sorte de conseiller d'outre-tombe condamné à errer avec les autres victimes du Loup-Garou jusqu'à la fin de la malédiction. Pourrissant à vue d'oeil (encore une prouesse de Baker), ce personnage inattendu deviendra le vecteur d'un humour macabre assez fin qui s'articule parfaitement dans le film, développant ainsi son atmosphère si particulière et permettant au métrage de se donner un côté grosse farce, accentué par le héros qui ne croit en rien et se permet des pitreries, jusqu'au moment de partir dans le drame des plus sérieux où toute la réalité éclate. Le film bascule alors dans la tragédie et la noirceur, retrouvant un peu de l'esprit du Retour des Morts Vivants, lorsque le divertissement fait soudain place à la tristesse d'un réalisme implacable. Une dualité que l'on retrouve dans une scène particulière se déroulant dans un cinéma porno qui diffuse un film particulièrement grotesque, contrastant avec les tueries féroces qui se déroulent dans la salle.
Le Loup-Garou de Londres est un film qui met du temps à se mettre en place et s'intéresse énormément à ses personnages. Un choix qui ne plaira pas à tout le monde, beaucoup lui reprochant ses longueurs ou le côté comique. Il n'en reste pas moins un film incontournable du genre fantastique, qui doit beaucoup à ses effets spéciaux, il est vrai, mais qui développe également autour d'un scénario simpliste d'intéressantes théories sur le mythe. Peut-être pas la meilleure réflexion sur le sujet, pour ma part j'ai largement préféré Wolf, avec Jack Nicholson, qui s'intéresse davantage à la psychologie homme / animal, mais une oeuvre qui a fait date et qui a servi de référence. A noter que l'Europe, toujours à l'affût d'un bon coup, livra en 1997 un Loup-Garou de Paris, faux remake particulièrement pourri enchaînant scènes "d'épouvante" et gros gags sans renouer avec l'alchimie de son modèle. Sans parler que face à la bestiole de Baker se dresse une terrifiante image de synthèse digne des pires productions Nu Images. Une nouvelle preuve que l'infographie ne remplacera jamais le charme du travail manuel.
Une fois n'est pas coutume, je vais terminer en évoquant le DVD, très belle édition sortie à l'occasion des 20 ans du film. Outre la bonne qualité de l'ensemble, les bonus renferment de très intéressants entretiens avec John Landis et Rick Baker qui parlent réellement de leur travail plutôt que de, comme c'est la mode actuellement, se congratuler l'un l'autre en chantant les louanges du film. Rick Baker, assez technique qui explique gentiment ses effets sans trop en dévoiler tandis que John Landis, heureux comme un enfant dans un magasin de bonbons et jamais avare d'une bonne blague dit un peu tout ce qui lui passe par la tête à grand renfort d'anecdotes. Du bonheur ! Sont également là les traditionnelles galeries photos, commentaires audio et coulisses du tournage (ce dernier supplément finalement assez dispensable), une plongée dans les coulisses des effets spéciaux, ici document d'époque sur le moulage d'un bras où l'on constate que si Landis faisait déjà le zigoto devant les caméras, Baker n'est pas le dernier pour la déconne, ainsi qu'un bêtisier. Bêtisier servant surtout de prétexte pour refourguer des chutes de pellicules pas franchement bidonnantes (moins drôles que l'interview de Landis en tout cas) et il faut attendre la fin du florilège, au demeurant très court, pour voir alors une séquence absolument énorme qui en laissera plus d'un sur les fesses...