Les lois de l'attraction
Cinéma / Critique - écrit , le 21/03/2003 (Rock 'n Roll !
Bret Easton Ellis
... et tu vois : c'est déjà reparti pour un tour ! Pauvre société américaine : à peine a-t-elle mis le doigt sur une affaire qu'elle l'exploitera au maximum. Et oui : capitalisme cela s'appelle ! J'ai galéré pour en arriver là où je suis, j'ai écrit des livres, j'ai clairement montré mon dégoût pour ce petit monde mesquin qui m'entoure : les riches, les golden boys, en bref : les maîtres du monde ! Petit étudiant, j'ai enchaîné les succès tout en défrayant les chroniques littéraires. 21 ans ! 21 ans, tu te rends compte et mon premier livre, Moins que zéro est déjà considéré comme un chef-d'oeuvre. J'ai récidivé avec Les lois de l'attraction, j'étais encore plus violent et je me suis attaqué au milieu des riches universitaires qui passent leur temps à se droguer et à s'envoyer en l'air. Le public en veut toujours plus, tu le sais, alors forcément j'ai mis le paquet avec American Psycho, et là j'ai été autant adoré que détesté ! Je t'ai raconté comment des associations de féministes américaines m'ont menacé de mort, on se croirait en pleine paranoïa genre Salman Rushdie ! Bon, après je me suis un peu calmé, j'ai laissé les choses se tasser, et puis le fait que mes livres soient plus achetés que brûlés prouvent que quelque part ma place était ici. Je voulais faire un roman énorme, un truc complètement dingue et bien violent, mais en attendant j'ai publié quelques nouvelles dans un recueil, Zombies, mais les fans savaient. Ils savaient que j'allais récidiver, je me devais de ne pas les décevoir, alors j'ai écrit Glamorama, je peux te dire qu'ils en ont eu pour leur argent : cette fois, c'était au milieu de la mode et de la nuit d'en prendre pour son grade.
Comment ? Ah ouais, le capitalisme ! Tu sais qu'à Hollywood, ils aiment bien amasser des millions sur des scénarios adaptés de best-sellers, le problème c'est qu'ils donnent la réalisation à n'importe quel fils-à-papa-réalisateur, et le film est au mieux très moyen... En 1987, on adapte Moins que zéro, quelle catastrophe ! En 2000, c'est American Psycho qui passe sur la planche à billet : quelle déception ! Et maintenant, c'est au tour de : Les lois de l'attraction, je me suis dit : "jamais deux sans trois", j'avais incroyablement tort ! Je te jure, Roger a vraiment fait un boulot de dingue, surtout pour...
Roger Avary
... comme cela, par pur hasard ! Je ne te cache pas que pour un premier film, Killing Zoe a été plutôt bien remarqué ! Oui il était violent, mais on vit dans une société violente, et c'est une critique ! Les méchants ne sont pas forcément les plus mauvais ! D'ailleurs peu de monde l'a compris. Alors j'ai pris une pause, j'ai réfléchi, et j'ai écrit le scénario de Pulp Fiction avec Quentin, une sacrée bonne idée. J'aime bien les histoires où les personnes se croisent, où les interactions se multiplient. Mais le cinéma est trop plat pour en rendre compte : on suit toujours un héros d'une situation initiale à une situation finale avec au milieu un élément perturbateur, c'est d'un cliché ! Je veux sortir de ce circuit, et Pulp Fiction à ce niveau m'a pas mal réussi. J'ai lu pas mal de livres de Bret, et franchement, Les lois de l'attraction colle bien à ce style : des monologues de différents personnages se rencontrant, sans début, sans fin, sans climax, mais bourré d'interactions ! J'ai bossé dur, crois-moi, j'ai réécrit le scénario et je me suis auto-produit en grande partie. Le résultat vaut le coup non ? Mais non je ne dis pas cela pour me faire mousser, si je dénonce les riches étudiants mégalos, ce n'est pas pour me ranger de leur côté ! Ah d'accord, tu ne l'as pas vu ? Comment ? Te résumer l'histoire ? Vaudrait mieux que tu demandes à la personne qui a monté le film, Sharon. Ce que je fais maintenant ? Et bien figure-toi que...
Sharon Marie Rutter
... vraiment trop complexe ! Tu sais, ça me fait plaisir que tu viennes me voir. Pourquoi ? On va faire un petit test. Tu es prêt ? Cite-moi cinq réalisateurs connus ? Oui je sais, c'est facile ! Bon, cite-moi cinq acteurs et cinq actrices connus ? Très simple en effet... Allez, cite-moi cinq monteurs connus ? Aïe, tu vois, tu n'es même pas capable d'en citer un seul ! Pourtant le monteur, bien que peu médiatisé, est une pièce maîtresse dans la réalisation du film. C'est nous qui donnons un sens à l'histoire, l'essence même du film, c'est nous ! Forcément j'étais enchantée quand Roger m'a proposé le projet, et puis, travailler avec un beau gars comme lui, ça ne se refuse pas ! Mais oui je rigole ! Le film ? Tout se passe dans la prestigieuse université de Camden, réservée aux riches étudiant de ce pays. C'était sans compter que ces chers étudiants passent leur temps à se droguer, à forniquer et se prendre la tête plutôt que de travailler. Comment ça tu vois pas l'intérêt ? Enfin imagine la critique pamphlétaire ! Les élites sont des monstres, des ados complètements barges ! Tu sais quoi ? Sean Bateman est joué par James Van Der Beek, tu sais, le mec de la série Dawson ! Et bien Sean est un gars qui...
Sean Bateman
... car je suis un tombeur ! Je suis beau et elles sont toutes à mes pieds, pas une ne me résiste. Y a qu'à les voir passer, je les snobe et elles roucoulent. J'en ai plein le dos des cours, la fac, c'est bon pour se faire des filles, dealer un peu de temps en temps et surtout faire des soirées, de véritables orgies pantagruelesques. J'ai couché avec tellement de filles que je ne me souviens plus avec qui, tant de visages et tant de corps que je n'en vois plus la fin. Depuis peu, je suis amoureux, ouais, vraiment amoureux ! Mais non je l'ai pas encore sautée, j'attends "la fête de la baise" ! Depuis peu, un homo me tourne autour, cela en devient même agaçant ! Son nom ? Paul, Paul Denton. Ah ! Le nom de la fille que j'aime ! Excuse-moi : c'est Lauren Hynde : Rock'n'Roll. Tu sais ce qu'on raconte ? Qu'elle serait encore vierge ! Tu te rends compte, à cet âge-là, et à Camden ! Par contre, elle est chaude, tu verrais les lettres qu'elle me dépose secrètement, j'en reviens pas ! Oh ! Si tu voyais son superbe...
Lauren Hynde
... forcément pas de cette manière ! Non, je n'irai pas à "la fête de la baise", cette sordide soirée où tout le monde couche avec tout le monde, je tiens à me préserver. Pour m'en dégoûter, je regarde des photos de maladies vénériennes, jusqu'à présent ça marche ! Je suis un peu perturbée en ce moment, j'essaye de ne pas paraître trop "out", d'un autre côté je suis encore restée aux drogues douces... J'ai l'impression que Sean me tourne autour, mais je le vois souvent fricoter avec Paul. Sean en serait-il ? Pardon ? Pour qui je me préserve ? Pour mon petit ami, Victor, il est en voyage en Europe en ce moment, j'ai hâte qu'il rentre si tu savais ! Bon, on y va à cette fête ? Sean pense que je lui dépose des lettres, pourtant je n'ai pas le souvenir d'avoir...
Paul Denton
... et le tout posé sur un beau petit cul. Cueillir Sean serait cultiver le paradis. Je suis sûr qu'il en est, ça se voit, en plus il ne refuse pas mes invitations. Je compte bien serrer son corps musclé contre le mien, avant de partir chez ma mère ce week-end. Je suis jaloux, je le soupçonne de vouloir se rendre à "la fête de la baise" et de partir avec le ou la première venue. Je crois que j'en suis amoureux, il est tellement beau, vif, sculpté. Si seulement je pouvais concrétiser : la plupart des hommes que je rencontre ne sont pas du même bord, c'est agaçant, c'est angoissant de savoir que je peux perdre Sean, à cause d'une fille comme Lauren ou comme celle qui lui laisse des lettres désespérées. Les hommes et les femmes semblent être tiraillés par des lois physiques et chimiques qui les dépassent : les lois de l'attraction. Cela me rappelle qu'un jour...
Sharon Marie Rutter
... très spéciaux. Mais le scénario reste classique tu vois ? Le but c'est les interactions ! Alors c'est là que mon art est entré en jeu. J'ai d'abord monté des scènes à l'envers. Pour t'expliquer, on suit un personnage dans une soirée, puis à la fin de la scène, la camera suit un autre personnage, mais la scène se déroule à l'envers ! La scène recommence à l'endroit, plus tôt mais avec quelqu'un d'autre, et ainsi de suite ! Ce n'est pas tout, il y a pas mal d'effets en accéléré, un peu comme dans Requiem for a dream. Sans parler du split-screen pour suivre l'action de deux personnes en même temps ! Là où j'ai fait très fort, c'est concernant Victor. Son voyage en Europe est résumé en cinq minutes, avec des plans de moins de deux secondes, sans compter sa narration sans coupure ! Mais le film ne se perd pas dans les effets de montage, bien au contraire car ils traduisent parfaitement les situations ! Oui, je le dis sans m'en cacher : ce film est MON chef-d'oeuvre ! Après ? Oh j'ai fait le montage de 8 Mile, mais personne n'a retenu mon nom une fois de plus ! Au fait, tu sais ce qu'a dit Roger à propos de...
Roger Avary
... sacrément fun ! Je sais bien que l'on me compare à Michel Gondry et à son Human Nature, je sais bien qu'on me compare à Aronofsky et à son Requiem for a dream mais franchement, ces films n'ont rien à voir ! De toute façon, ce film est une tranche de vie, pas le compte-rendu d'une soirée ou une descente aux enfers ! Il commence et termine en plein milieu de phrases, le spectateur est l'oreille indiscrète des monologues et des conversations ! Je pense tout de même à sérieusement...
Bret Easton Ellis
... frais n'est-ce pas ? En tout cas, je suis très satisfait, ce film est une adaptation fidèle de mon texte tout en étant libre au niveau des images, Roger et Sharon ont fait un boulot formidable ! Le mot de la fin ? Finalement, Hollywood peut réaliser des "anti-teen-movie" critiques, tout en respectant mon oeuvre, et je ne m'en porte pas plus mal ! La prochaine fois, pense juste à...