Lincoln : un film avec Spielberg mais sans vampire
Cinéma / Critique - écrit par Islara, le 10/01/2013 (Tags : lincoln film abraham spielberg mais cinema avec
Réaliser un film historique est un exercice périlleux. D’une part, parce que, nécessairement, les spécialistes du sujet traité et historiens en général attendront le film au tournant s’il a le malheur de commettre des erreurs ou d’être malhonnête avec ce que l’on sait de l’Histoire. Il ne nous appartient pas sur Krinein de faire ce travail, aussi nécessaire soit-il. Notons néanmoins, avec un certain respect, que Steven Spielberg est un grand connaisseur de Lincoln qu’il admire depuis son enfance, comme de nombreux américains, qu’il a consacré dix ans de recherche, d’études et de travail pour mettre au point son film et qu’il a collaboré étroitement avec la biographe la plus reconnue de l’ancien président, Doris Kearns Goodwin, dont le livre, Team of Rivals : The Political Genius of Abraham Lincoln, connut un immense succès à sa sortie en 2005. Spielberg travaillait même déjà avec elle avant qu’elle n’achève la biographie, c’est dire…
Magouilles et complots pour une fin plus élevéeD’autre part, et c’est probablement le plus grand obstacle, il ne faut pas tomber dans trop de détail et de narration au détriment de l’intérêt pour le public ou, inversement, tomber dans trop de spectaculaire au détriment du fond. On pouvait donc vraiment être sceptique sur le résultat, surtout quand c’est un studio hollywoodien qui s’y collait.
De ce fait, on doit bien admettre que le film surprend de manière exceptionnelle. Point de grandes scènes de combat ou de chevauchées fantastiques, tout au contraire, de l’intimisme ; qui l'eût cru ? Mais encore plus étonnamment, ce n’est pas de l’intimisme ennuyeux ; le rythme est rapide, l’intrigue parfaitement ficelée, presque façon roman policier, et les moments d’émotion forte totalement saisissants. On a beau connaître la fin de l’histoire, le pari de faire voter le XIIIème amendement semble tellement impossible dans le contexte où il se trouve qu’on se demande comment, en un pauvre petit mois, il sera finalement voté avec la majorité qualifiée exigée (en l’occurrence deux tiers). L'intérêt est donc à son comble dès le début de la projection qui expose immédiatement le défi à relever.
Le choix de la variété des thèmes tourne également grandement à l’avantage du film pour éviter de plonger le spectateur dans l’ennui et mieux capter son attention : aux intrigues et magouilles politiques, succèdent les scènes familiales, les dialogues personnels ou les petites affaires du quotidien d'un président. Non que l’équipe du film ait été motivée par la nécessité de capter l’attention du
Accablée par mort, guerre, complots, attentatsspectateur, c’est qu’avant tout, Spielberg et ses scénaristes le revendiquent, ils voulaient montrer toutes les facettes, belles et moins belles, de Lincoln, le démystifier pour le rendre tel qu’il était vraiment, à la fois mari, père, citoyen, juriste, blagueur. Voilà une exigence intéressante et savoureuse que Spielberg s’était fixée ; nous avons eu notre compte de héros idéalisés, nous préférons le réalisme, nous préférons savoir que les plus intègres ont toléré les pires compromis pour faire passer l’amendement, que Lincoln s’était arrogé les pleins pouvoirs de manière peu démocratique, avait censuré la presse, que ses décrets d'émancipation des Noirs étaient d'une légalité douteuse, quitte à se faire traiter de tyran, mais tout cela dans un but bien précis et plus élevé. Loin du manichéisme habituel de certains films américains, Lincoln, de ce fait, sonne juste dans nos cœurs et nos esprits.
Même le jeu des acteurs est nuancé, pudique et sobre. Point de recherches de grands effets de manches ou de voix, sauf un strict minimum nécessaire, ce qui n'en rend pas les prestations moins brillantes. Sally Field, dans le rôle de première dame abîmée par les souffrances de son poste, est particulièrement convaincante ; de même, dans une moindre mesure, pour Joseph Gordon-Levitt, en fils culpabilisé de ne point s’engager au combat. Acteur dès l'enfance, né dans la série historique Dr Quinn qui se situe juste après la fin de la Guerre de Sécession, il est d’ailleurs assez amusant de le retrouver une nouvelle fois dans la même période historique. Quant à Daniel Day Lewis, il surprend par sa capacité à nous absorber malgré son choix de voix feutrée, aussi douce que ferme, ses silences pesants ou ses pâles sourires.
Le spectacle à lui tout seul dans la chambre
des représentants Finalement, le seuil écueil dans lequel Lincoln tombe, c’est une certaine inaccessibilité. Certains détails ou clins d’œil et leur portée ne seront pas forcément compris par le néophyte, risquant par là de laisser une partie du public de côté, car le sentiment de ne pas tout comprendre est toujours assez désagréable. Était-il néanmoins possible qu’il en soit autrement sans dépouiller l’œuvre de son caractère historique ? Probablement pas. Sachant qu’on ne voit pas les 2H29 défiler alors qu’un quart du temps, elles se déroulent dans une simple chambre de députés, l’exercice nous parait brillamment réussi, Tommy Lee Jones y aidant grandement. Il même possible que les néophytes voient leur curiosité intellectuelle éveillée, se lancent dans un peu de lecture et revoient plus tard le film avec un plaisir renouvelé. Après tout, ce n’est quand même pas rien l’abolition de l’esclavage aux États-Unis. On a même droit furtivement à la question du vote des femmes. Dès lors, tout un(e) chacun(e) devrait trouver dans Lincoln un petit quelque chose qui le/la ressourcera et lui fera passer un excellent moment.
Sortie le 30 janvier, veille de la date officielle de l’adoption du XIIIème amendement de la Constitution américaine par le Congrès.