La ligne rouge
Cinéma / Critique - écrit par Kassad, le 29/01/2004 (Par-delà le bien et le mal
Terrence Malick est un homme qui aime prendre son temps. Entre son précédent film, Les moissons du ciel, et La ligne rouge, pas moins d'une vingtaine d'années se sont écoulées. Sa réflexion sur la réalisation d'une adaptation cinématographique du roman de James Jones commence en 1988... Peut-être que cela vient du fait que Malick est un agrégé de philo ou peut-être plus simplement est-ce parce qu'il savait qu'il tenait en main le script de sa vie. Le roman de Jones m'avait soufflé par sa force et son approche totalement originale d'un genre littéraire souvent à l'origine de médiocres réalisations : le roman de guerre. Je crois que La ligne rouge est l'exception qui confirme la règle selon laquelle une adaptation cinématographique est forcément inférieure au livre dont elle est tirée.
C'est en poète que Malick met en scène l'un des théâtres les plus sanglants de la seconde guerre mondiale : la bataille de Guadalcanal. Seule véritable confrontation terrestre de la guerre dans le pacifique elle marquera le tournant de la guerre dans cette région et annoncera l'inévitable chute de l'empire nippon. Un résumé trivial du film serait le suivant : nous suivons la compagnie C-comme-Charly dans sa lutte pour la conquête de la colline 210.
Présenté comme cela, la différence avec un film de guerre typique, du style Il faut sauver le soldat Ryan ne saute pas aux yeux. Pourtant si Il faut sauver le soldat Ryan est un film efficace, il n'en reste pas moins un film "de genre" : rien de plus qu'une suite de scènettes illustrant différents aspects de la guerre (camaraderie, violence des combats, injustice, etc.) Il en va autrement pour La ligne rouge. Le projet de Malick est ambitieux, il s'intéresse à la Vie, à la source du bien, aux racines du mal, aux illusions perdues, à l'espoir, à l'homme.
La mise en scène est fantastique. En nous présentant, en vue subjective, des visages qui maculés de boue se confondent tous, Malick montre bien, au-delà des mots, comment la guerre déshumanise. Cette impression est renforcée par l'utilisation constante de voix-off figurant les pensées des soldats. Ces dernières se mélangent pour ne former qu'une seule et unique complainte. L'autre effet de ces voix-off est aussi de souligner la solitude : chacun restant seul avec ses pensées, comme en témoigne ce dialogue entre Witt et le sergent Welsh (joué par un excellentissime Sean Penn) "vous sentez-vous seul parfois ? Seulement quand il y a des gens autour de moi". Il y a aussi ce constant décalage provenant du mélange entre les scènes, atroces, un son étouffé, une musique entêtante et la photographie d'une beauté incroyable. Tout cela contribue à donner une vision hébétée de la guerre, vision exempte de tout héroïsme, tout patriotisme. Il n'y a pas le camp des gentils contre celui des méchants. De tous les côtés ce sont la mort et la souffrance qui ont le dernier mot.
Une vision rapide et superficielle pourrait faire croire que la thèse de Malick est simpliste. Tout commence dans une sorte de jardin d'Eden : deux soldats américains réfugiés dans un village de Polynésiens. Puis vient cette voix-off durant les combats se demandant d'où vient tout ce mal, pourquoi et comment s'est-il introduit dans le monde. L'opposition avec la vie simple des Polynésiens est évidente et facile. Ils représenteraient le "bon sauvage" au sens de Rousseau. Mais voilà Malick est malin : sans le dire, juste en passant sur des indigènes malades, il montre que le paradis sur terre n'est qu'une illusion. Il y a aussi ce discours du colonel sur la cruauté de la nature. Dans ce film tout vient par paire : le pour et le contre. Quand un soldat se demande quelle est la racine du mal un autre s'interroge sur cette force d'amour qu'aucune guerre ne peut vaincre. Cette dialectique constante etre les discours, les images, les situations est exacerbée dans les rapports qu'entretiennent entre eux le sergent Welsh et Witt. Le cynique contre l'illuminé.
Finalement c'est paradoxalement la masse d'acteurs renommés qui est une limite du film : pour situer le niveau du casting il suffit de voir que Travolta et Clooney ne font chacun qu'une brève apparation (une minute maximum) dans le film. En effet cela bloque un peu l'identification et fait un peu sortir d'un film obsédant. Dernière chose, ce film est à voir en VO, ne faites pas l'erreur de choisir une VF lamentable.