Inception
Cinéma / Critique - écrit par Nicolas, le 21/07/2010 (Tags : film inception nolan cobb reve christopher scene
L'évènement de l'été 2010 tient ses promesses. Christopher Nolan confirme, s'il avait encore à le faire, sa très grande maîtrise technique et la richesse de son imagination.
Le film sort le 21 juillet, la campagne promotionnelle vient de débuter, et les premières critiques de la presse US tombent. Dès aujourd'hui, les critiques francophones vont commencer à pleuvoir ici et là, et la pression va monter autour d'Inception. Un tel mystère, un tel écho médiatique mènent très souvent à l'effet du pétard mouillé, ce qui ne semble pas être le cas ici si l'on en croit les premières impressions trouvées sur Internet. Vous attendiez Inception ? Ce qui suit va rendre le délai encore plus insoutenable.
Dom Cobb est passé maître dans l'art de l'extraction : il construit un rêve, y enferme l'esprit de sa proie, et s'y introduit pour dérober les secrets les mieux gardés. Si le procédé fonctionne bien dans ce sens, l'inverse est infiniment plus délicat. Et pourtant, Cobb accepte de réaliser une inception : implanter une idée dans l'esprit d'une personne. L'enjeu est crucial, la réussite lui permettrait de retourner aux Etats-Unis et retrouver sa famille...
Le scénario, plutôt complexe, est néanmoins construit de façon à ne pas laisser le spectateur échoué sur une plage : d'une part, le montage respecte la chronologie des évènements - à une entourloupe près -, ce qui facilite la compréhension générale de l'intrigue ; et d'autre part, il fait en sorte que chacun dispose des mêmes repères que les personnages du film. Par les yeux de la nouvelle architecte de l'équipe, la profane Ariadne (Ellen Page), Christopher Nolan nous explique la teneur de son univers, ses règles, ses limites, ses principes - une belle occasion de jouer avec les effets visuels pour capter l'attention du spectateur et lui faire retenir l'essentiel.
Cette bienveillance émanant du réalisateur est à complimenter, car se perdre dans les labyrinthes montés par l'équipe de Cobb serait plutôt facile avec un peu d'inattention. Et pourtant, même dans les derniers moments du film, très enchevêtrés, rien ne nous échappe - apparemment.
Le concept du rêve, tout le monde y a été confronté au moins une fois cinématographiquement parlant, et sous différentes formes. Nolan y cherche pourtant son renouveau, une manière de l'exploiter qui s'écarterait de ce qui a déjà été tout en n'oubliant pas d'être un film de divertissement de premier plan. Son approche se veut concrète : il explique le rêve, le rationalise, et cherche à l'exploiter au plus profond. Il en résulte un thriller d'une très grande efficacité, qui chamboule tout ce que l'on a connu dans le domaine, et cela en conservant néanmoins les codes génériques du genre. Au-delà du crime, il y a l'espoir d'un père, il y a une idéologie de défense économique, et il y a un défi technologique - tout, sauf l'indéfendable. De manière sous-jacente, au fur et à mesure que s'empilent les informations les plus diverses et que se révèle à nous le personnage de Cobb, se dessinent les prémisses d'un potentiel twist final que les plus alertes voudront trouver dès la première partie. Nolan arrivera-t-il à les mettre dans le mur ?
La grande couette de Inception, Leonardo DiCaprio la tire entièrement à lui. Son personnage est de loin le plus intéressant de tous, et pour cause, la totalité des autres verse dans le superficiel à la limite de l'étiquetage bovin : le patron, l'organisateur, le faussaire, l'architecte, etc. Nolan les rend sympathiques très rapidement mais ne cherche pas pour autant à en exploiter le potentiel. Leurs relations en sont réduites à leur plus simple expression, la professionnelle, celle où chacun sait ce qu'il a à faire et le fait. Apprécier l'un ou l'autre de ces personnages très secondaires revient à extrapoler le trait de personnalité unique qui semble caractériser chacun d'entre eux.
On peut par exemple amplement estimer le flegme de Joseph Gordon-Levitt et ses manières très classes, mais cela sera la seule chose à porter au crédit du personnage. La popularité et le talent des acteurs sont là pour faire le reste.
Leonardo DiCaprio joue Dom Cobb, et se place très rapidement comme le centre indéboulonnable du film. Toute l'histoire est ramenée à lui, même lorsque celle-ci implique des rêves extérieurs. A l'inverse du petit carré de terre offert aux autres protagonistes, celui de Cobb dispose d'un terrain très vaste où se côtoient ses espoirs, ses remords, ses regrets, déballés tout au long du film. L'existence même du personnage est étroitement liée à celui de Marion Cotillard, offrant au film les quelques aspérités d'un drame psychologique taillé pour le thriller technologique. Si le récit de Cobb semble manquer d'émotion brute, la manière dont Nolan le dispense se pare d'une efficacité poignante, parfois même franchement inquiétante, pour ne pas dire malsaine. Du pain béni pour l'acteur, qui traverse les rôles les plus divers avec toujours autant de facilité.
Christopher Nolan est un fervent défenseur de l'effet traditionnel, il ne s'en cache pas et l'affirme dans quasiment chacune de ses interviews. Il reconnaît néanmoins que plier en deux un quartier de Paris est un défi technique qui ne semble pas pouvoir exister de manière crédible sans les effets numériques, et il est difficile de ne pas être d'accord. Les quelques scènes réalisées grâce aux ordinateurs sont, certes, plutôt impressionnantes, mais c'est dans l'effet mécanique que Nolan retient toute notre attention. Il est étrange de fabriquer du rêve en utilisant des concepts entièrement concrets, mais c'est pourtant la direction que prend le réalisateur, et ses choix semblent tout à fait judicieux.
Il n'y a qu'à retenir la fameuse scène du couloir, dont la photo s'est répandue un peu partout, pour s'en convaincre. Le film collectionne les scènes les plus ambitieuses qui soient, se déplace aux quatre coins du globe, et fait enfler le nombre de zéros d'un budget qui, sans aller jusqu'aux délires financiers d'Avatar, a tout de la facture d'un blockbuster estival.
Car Inception, en dépit de sa matière grise, demeure un blockbuster estival, très généreux sur les scènes d'action. Sans chercher de véritable angle original, Nolan signe une réalisation soignée et d'une grande efficacité, n'oubliant à aucun instant ce qu'il est en train de faire. Son film n'est pas séparatiste, il est juste moins facile d'accès que ce qui se présente d'habitude pendant l'été. Sa nature de blockbuster le rend néanmoins attrayant pour tout le monde, il est aisé au spectateur moyen de s'asseoir dans la salle et de se laisser prendre par la main pendant 150 minutes, quitte à passer à côté de la moitié du film, se manger des longueurs, et chercher des réponses à la sortie. Ceux qui prendront la peine de s'agiter les neurones pendant la séance auront un double sujet de conversation, parleront avec facilité de la plasticité du film, et élaboreront des théories sur certains points plus obscurs de l'intrigue.
Il ne restera qu'à dire quelques mots sur la musique d'Hans Zimmer, au premier abord plutôt simpliste mais judicieusement collée au sujet malgré un surplus de basses à décoller des plombages, et le tableau sera complet. Inception est un film d'exception, et comme tout métrage de cette catégorie, on s'autorise à chercher la petite bête pour ne pas avoir à passer pour un fanatique. On déplorera alors le manque de consistance de certains personnages, et peut-être le manque d'enjeu à plus grande échelle. Deux remarques qui ne peuvent entacher la qualité du film, au regard de la somme de propos mélioratifs qu'il s'apprête à recevoir à travers le monde. Les frères Wachowski ont révolutionné le cinéma d'action, Christopher Nolan vient probablement de révolutionner le thriller technologique.