6/10Gravity, renversant ?

/ Critique - écrit par Loïc Massaïa, le 28/10/2013
Notre verdict : 6/10 - Cuaron, nous avons un problème ! (Fiche technique)

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Les superlatifs ne manquent pas dans la presse spécialisée ou sur le net pour parler de Gravity. Une chose est sûre, le trailer révélé il y a déjà quelque mois montrait un plan-séquence absolument ahurissant, et d'ores et déjà on avait l'impression que l'expérience cinématographique allait être puissante et novatrice. Au final, qu'en est-il vraiment ? La presse ne s'enthousiasmerait-elle pas trop vite, subjuguée par un aspect purement technique, par l'expérience formelle, n'en oublierait-elle pas quelques défaults flagrants ?

Pour commencer, il me semble important de vous parler D'Alfonso Cuaron, dont la presse semble tout juste découvrir le talent. Pour ceux qui préfèrent lire seulement la critique de Gravity, vous pouvez directement sauter le paragraphe suivant.

Comme beaucoup, j'ai découvert Alfonso Cuaron avec Harry Potter et le prisonnier d'Azkaban, opus assez réussi je trouve, malgré quelques coupes désastreuses dans le scénario. Je n'étais pas fan des deux premiers films, et j'ai commencé à lire les livres un peu forcé par des amis. Et j'ai beaucoup aimé ces derniers. Donc, malgré mes réticences envers les versions cinés, j'ai décidé de donner sa chance à ce nouveau réalisateur, qui reprenait le flambeau du médiocre Chris Colombus. Et je me souviens que dès les premières images j'ai été frappé par un réel sens du cadre et une fluidité de narration, malgré le ton ouvertement potache de l'introduction. Le reste du film n'a fait que valider cette impression initiale. C'est donc avec une certaine curiosité cinéphilique que je me suis penché sur sa filmographie, sur La petite princesse et Y tu mama tambien pour être précis. Si les films ne m'ont pas vraiment convaincus, le style de la mise en scène et l'approche technique de la réalisation m'ont franchement étonné, tant ils étaient différents de son travail sur la franchise au petit sorcier à lunette. Surtout Y tu mama tambien, qui en est l'exact opposé. Surpris, j'attendais donc son prochain film avec intérêt, et c'est avec celui-ci (Les fils de l'homme) que je pris réellement conscience de son talent. Si on peut reprocher à ce dernier un scénario aux enjeux peu aboutis, la mise en scène virtuose, discrète malgré ses nombreux (faux) plans-séquences, crée une immersion rarement égalée au cinéma, magnifiant les émotions comme jamais. C'est donc tout naturellement, même avant d'en voir les premiers extraits, que j'attendais beaucoup de Gravity, qui s'annonçait d'emblée comme une véritable expérience émotionnelle.


En 3D le spectacle qu'offre Gravity est décoiffant.

Le film commence dans un silence total, l'image de la Terre vue de l'espace est toujours aussi fascinante. On a envie d'y être. De loin, on voit un satellite approcher. Etrangement la 3D le rend tout plat. Plein d'enthousiasme, plutôt que de penser à un ratage, j'y vois une citation à 2001, l'odyssée de l'espace, avec son astronef atterrissant sur la lune, lui aussi plat comme une feuille de papier. Puis, on approche du satellite, au plus près des astronautes en train de travailler en extérieur. La 3D est ici remarquable, appuyant la profondeur du vide intersidéral, et la mise en scène, fluide et sans coupe, s'attarde dans la présentation du contexte et des personnages. Mais voilà, déjà, il y a quelque chose qui coince. Les dialogues, profondément inintéressants et peu crédibles soulignent un peu trop l'aspect introductif de la scène. C'est très scolaire, un peu trop forcé, ça pue le passage obligé à plein nez.

Lorsque la catastrophe arrive, on se dit "ça y est, c'est parti". Et c'est véritablement impressionnant. La caméra virevolte, des objets jaillissent de partout, ça explose, tourne, c'est le grand bordel et pourtant tout reste lisible. La 3D fait parfaitement son office, et sert tellement le propos qu'elle semble indispensable. La maîtrise formelle est impressionnante, étourdissante. C'est alors qu'on est pris entre deux sentiments, celui de la fascination envers tant de virtuosité, et celui qui tend à la méfiance envers une trop grande maîtrise d'un art, qui s'accorde trop souvent avec une certaine "clinicité", cloisonnant l'émotion. Et tout le film est comme cela, confrontant le spectateur à de constants paradoxes, à des sentiments contradictoires. Ce phénomène est d'ailleurs révélé par l'utilisation de la 3D elle-même. Comme je l'ai dit ci-dessus, elle apparaît comme une évidence ici, peut-être même pour la première fois au cinéma. Appuyant l'idée de l'isolement, du grand vide, des distances qu'il reste à parcourir pour survivre. Pourtant, c'est cette même 3D qui, à de nombreuses reprises, nous fait parfois sortir du film. Lorsque par exemple, lors d'une scène de tension, nous apercevons un objet se diriger droit sur nous, ou qu'un flou vient légèrement obstruer la vision, ou quand on se prend à penser que là c'est beau, que là la perspective a un rendu étrange, etc. Notre attention est alors détournée du récit.

Si la 3D se prête parfaitement à l'idée de spectacle, elle atteint ses limites quand l'histoire nécessite un réel investissement émotionnel du spectateur, comme dans les films à suspense où l'immersion doit être constante pour que le spectateur reste tendu. Il y a donc un paradoxe ici encore, puisque Gravity cherche à être à la fois film de spectacle et film à suspense en 3D.


L'impression d'isolement est magnifié par la 3D, dans Gravity.

 Là où les fils de l'homme avait trouvé le juste milieu entre maîtrise formelle et rendu émotionnel, restant au coeur de l'action, proche des personnages, mais de façon totalement pudique, laissant suffisamment de distance pour permettre au spectateur d'y projeter un peu de lui-même, Gravity s'enlise un peu dans le démonstratif ostentatoire en oubliant quelque chose d'essentiel : ses personnages. Je ne reviendrais pas sur les dialogues, la plupart du temps ratés, mais m'appuierais sur un nouveau paradoxe : le caractère blockbuster auteurisant du film. Un mélange toujours délicat, particulièrement raté ici. Cuaron a eu la maladresse de vouloir donner de l'épaisseur à son personnage principal incarné par Sandra Bullock. A priori rien de gênant, au contraire. C'est plus embêtant lorsque l'on sait que ce background se limite à un traumatisme larmoyant, grosse ficelle artificielle à deux balles, celle de l'être blessé en son fort intérieur, destinée à atteindre les plus crédules et sensibles d'entre nous de la façon la plus balourde qui soit. Mais, encore une fois, rien de bien gênant dans le contexte d'un blockbuster hollywoodien, on est habitué et plus ou moins prêt à l'accepter. Cela devient particulièrement ridicule lorsqu'on s'aperçoit que ce background cliché au possible sert en réalité une cause pourtant bien ambitieuse : donner au film une symbolique universelle, celle de la naissance, ou en l'occurrence ici de la renaissance. Et lorsqu'on s'aperçoit que toute cette symbolique, sympathique et légitime au demeurant, s'appuie sur une ficelle aussi grossière et caricaturale que celle que nous offre le film, c'est le drame. Tout s'écroule et devient parfaitement navrant.


"Moi blessée, moi être écrochée de la vie".

A nouveau, un autre paradoxe s'offre à nous, car il apparaît que Cuaron aurait fait un meilleur film s'il s'était contenté de raconter un enchaînement de péripéties pur et simple, sans jamais tenter d'approfondir ses personnages. Un comble pour quelqu'un comme moi qui préfère les films intimistes aux films d'action ? Pas vraiment, car le film aurait pu se vivre comme une vraie expérience sensorielle, ne rien connaître du personnage principal aurait pu permettre une identification plus forte, en la posant comme concept : "cet être perdu dans l'immensité sidérale, ça pourrait être vous". Alors qu'ici non, difficile de se mettre à la place de ce personnage... Surtout quand il est si mal écrit ! Dans les fils de l'homme, encore une fois, la personnalité du personnage principal est réduite à sa plus simple expression, ce qui le rend accessible, mais pas lambda pour autant, car il est confronté à des situations conflictuelles et à des remises en question permanentes qui nous permettent de nous questionner nous-mêmes. L'immersion est totale. Le concept de Gravity s'y prêtait plus qu'aucun autre, et pourtant Cuaron empêche cette identification. C'est ballot.

Au final, je ne peux me résoudre à trouver le film réellement désolant, tant l'expérience cinématographique est incroyable, inédite et restera certainement unique pour longtemps. Mais ma déception est grande devant tant de gâchis. Le film aurait pu être encore plus puissant s'il avait écarté toute tentative maladroite d'approfondissement thématique. Ou alors il aurait fallu faire un tout autre film, plus intimiste, ou plus conceptuel. Mais pour cela, il faudra certainement attendre le prochain Christopher Nolan. D'ailleurs, à la sortie de la séance, je me suis pris à rêver en une collaboration entre ces deux cinéastes, Nolan étant un créateur de concepts génial mais peu doué pour l'émotion et le spectacle pur, et Cuaron excellant dans la narration et l'immersion, mais maladroit quand il s'agit d'insuffler un sous-texte, les deux pourraient se compléter merveilleusement bien... En attendant, je suis persuadé que Les fils de l'homme veillira bien mieux que Gravity, et c'est dans leur pérénité que l'on fait la différence entre les grands films et les autres.