8/10Les enfants du Paradis

/ Critique - écrit par riffhifi, le 11/08/2007
Notre verdict : 8/10 - L'enfance de l'art (Fiche technique)

L'enfance de l'art

De nombreuses sources traitant du cinéma de façon généraliste égrènent aujourd'hui encore les deux clichés suivants : Citizen Kane serait le meilleur film de tous les temps, et Les enfants du Paradis le meilleur film français. Sans aller jusqu'à valider ce double choix expéditif, qui tend à considérer que rien d'intéressant n'a vu le jour depuis les années 40, on peut néanmoins s'attacher à découvrir l'un et l'autre...

Paris, début du XIXème siècle. Sur le boulevard du crime (surnom donné à l'époque au boulevard du Temple), trois hommes soupirent pour la belle Garance (Arletty). Le premier, Baptiste Deburau (Jean-Louis Barrault), est un jeune mime talentueux mais timide. Le deuxième, Frédérick Lemaître (Pierre Brasseur), est un acteur de théâtre aussi ambitieux qu'enthousiaste. Quant au troisième, il s'agit du criminel Pierre François Lacenaire (Marcel Herrand), dandy et assassin...

Les enfants du Paradis a été tourné durant l'Occupation : une épreuve incontestablement retorse à franchir, lorsque l'on sait notamment que le chef décorateur Alexandre Trauner était juif et devait travailler dans la clandestinité. Par ailleurs, la législation appliquée aux films durant cette période leur interdisait de durer plus de 100 minutes ; afin d'atteindre les 3 heures nécessaires à leur œuvre, Carné et Prévert durent donc ruser en découpant l'histoire en deux époques, respectivement intitulées Le boulevard du crime et L'homme blanc. Au bout du compte, le film sortira en mars 1945, au lendemain de la Libération.

Baptiste Deburau (Jean-Louis Barrault)
Baptiste Deburau (Jean-Louis Barrault)
Marcel Carné et Jacques Prévert n'en étaient pas à leur première collaboration : le premier à la réalisation, le deuxième au scénario et aux dialogues, ils ont déjà à leur actif cinq films : Jenny, Drôle de drame, Le quai des brumes, Le jour se lève et Les visiteurs du soir. Cette fois, ils s'attaquent non seulement à un film d'une longueur inhabituelle, mais également à un concept délicat : réunir autour d'un personnage de fiction (Garance) trois figures célèbres et complexes des années 1800. Chacun des trois hommes a d'ailleurs fait depuis l'objet de films ou de pièces : Deburau (une pièce, puis un film en 1950) de Sacha Guitry, la pièce Frédérick ou le boulevard du crime de Eric-Emmanuel Schmitt, Lacenaire (1990) avec Daniel Auteuil... C'est la richesse de ces personnages qui permet au film d'éviter le piège de la simple romance à plusieurs (cinq, si on considère le comte Montray comme en faisant partie), et de dresser le tableau d'une époque en même temps que celui de plusieurs amours contrariés. En choisissant ces trois hommes, Prévert avait aussi le loisir d'imaginer la face cachée de la réussite : bien que destinés à réussir dans leurs carrières respectives (le mime, le théâtre, le crime), ils sont incapables d'accéder au bonheur dans leur vie privée, car l'amour de Garance leur est interdit pour différentes raisons.
Mais en fin de compte, le film doit son aura essentiellement à ses acteurs, et aux dialogues de Prévert. Jean-Louis Barrault et Pierre Brasseur, interprètes de Pierrot et d'Arlequin de plus d'une manière, tournent avec talent autour de leur Colombine gouailleuse, incarnée par une Arletty au phrasé si particulier.

Alors, meilleur film français de tous les temps ? Avec le recul, sans doute pas, mais Les enfants du Paradis reste assurément une œuvre incontournable dans l'Histoire de France comme dans l'histoire du cinéma, doublée d'une des premières mises en abîme par sa représentation du métier de comédien...