2/10L'emmerdeur - 2008

/ Critique - écrit par riffhifi, le 12/12/2008
Notre verdict : 2/10 - François Pognon (Fiche technique)

Francis Veber se prend les pieds dans le tapis. Ce qui est con, c'est que c'est un beau tapis, qu'il a tissé lui-même il y a trente-sept ans. Mais ça n'empêche pas le gadin. Quant à Timsit et Berry, ils paraissent s'ennuyer à périr.

Les scénarios de Francis Veber ont souvent fait l'objet de remakes. Une fois par le passé, il a même réalisé lui-même le remake d'un de ses films (Les trois fugitifs avec Nick Nolte et Martin Short). Mais ici, pour la première fois, il réalise l'adaptation d'une de ses pièces après que celle-ci soit passée dans les mains de deux autres cinéastes. Edouard Molinaro en 1973 et Billy Wilder en 1981, excusez du peu. Veber est loin d'être un manchot en matière de réalisation, et sa rigueur en matière de comédie en a fait l'artisan de nombreux succès populaires, le dernier en date étant Le dîner de cons en 1998. Depuis dix ans, force est de constater que la Veber touch faisait de moins en moins mouche : Le placard de 2001 était un vague pamphlet anti-homophobe, sympathique mais pas renversant ; le Tais-toi de 2003 reposait sur un duo comique mal choisi
"... et après, vous promettez
de ne plus m'emmerder ?"
(Depardieu-Reno) et une suite de gags très lourds ; et La doublure de 2006 était loin de pouvoir rivaliser avec les grands succès du scénariste-réalisateur. A ce stade, le choix de refaire L'emmerdeur à l'écran apparaît comme un simple calcul, destiné à la fois à capitaliser sur un titre connu (beaucoup se souviennent de Jacques Brel et Lino Ventura dans le film de 1973) et à renouveler la formule du Dîner de cons en amenant à l'écran des acteurs qui font vivre la pièce sur scène depuis plusieurs années. EN l'occurrence, Patrick Timsit et Richard Berry font un tabac au Théâtre de la Porte Saint-Martin depuis 2005. Hélas, pour une raison un peu obscure, les deux acteurs semblent incapable d'insuffler au film la moindre énergie, et la direction mollassonne de Veber fait sombrer l'ensemble dans l'anémie la plus complète.

Pourtant, le scénario et les dialogues restent identiques à de rares changements près : Ralph Milan (Lino Ventura / Richard Berry) est toujours un tueur à gages posté dans une chambre d'hôtel pour descendre un prisonnier sous escorte (Michel Aumont, dans un rôle vaguement cocasse mais terriblement superflu et absent du film de 1973) ; et François Pignon (Jacques Brel / Patrick Timsit) est un emmerdeur qui tente de se pendre dans la chambre d'à côté parce que sa femme (Caroline Cellier / Virginie Ledoyen) l'a plaqué pour un psy (Jean-Pierre Darras / Pascal Elbé). Les différences sont minces : outre l'ajout du personnage de la victime, on remarque que Pignon n'est plus VRP mais photographe (Timsit retrouve ainsi un rôle proche de celui de Paparazzi, où il campait déjà un gros boulet), et que son caractère d'emmerdeur semble beaucoup plus assumé que celui de la version précédente. Là où Jacques Brel portait toute la détresse du monde dans ses yeux de chien battu, Timsit semble juste vouloir asticoter son On a encore perdu un spectateur !
On a encore perdu un spectateur !
entourage pour se rendre intéressant ; il ne porte pas ce statut quasiment surnaturel de catastrophe ambulante, il se contente d'être agaçant. Quant à Berry, il ne diffuse jamais la menace sourde que Ventura faisait peser par sa carrure imposante et son regard noir. L'alchimie entre les deux ressemble plus à de la camaraderie qu'à un véritable antagonisme, et leurs répliques sonnent comme l'écho atrophié de celles qu'ils ont pu déclamer lors de leurs premières représentations. Lorsque Milan demande à Pignon de lui foutre la paix, on ne le sent pas suppliant : on a l'impression que Berry ne comprend même plus les mots qu'il prononce, sans doute pour les avoir trop dit sur scène.

La réalisation, terne et sans rythme, ferait passer le classicisme de Molinaro pour du Tony Scott sous amphétamines. Au bout du compte, L'emmerdeur 2008 manque tellement de conviction qu'on se surprend à penser que la lecture de la pièce doit se révéler plus drôle que la vision du film. Trente-sept ans après avoir écrit la pièce, il n'était plus temps pour Veber de la porter à l'écran. Pas après Molinaro. Pas avec Timsit et Berry.