9.5/10Elephant Man

/ Critique - écrit par gyzmo, le 21/09/2005
Notre verdict : 9.5/10 - Rien ne meurt jamais... (Fiche technique)

Tags : elephant film man john merrick lynch treves

Rien ne meurt jamais...

Au début des années 80, Mel Brooks veut adapter au cinéma l'histoire vraie de Joseph (inexplicablement rebaptisé John) Merrick. Pour se lier à cette vie poignante, il faut un artiste qui saisisse l'humanité singulière de Merrick. Qui d'autre que David Lynch aurait pu accéder à cette compréhension? Il sort à peine de Eraserhead, un film en noir et blanc d'une étrange beauté, avec un scénario complexe qui place l'esprit au-dessus de la matière et qui met en scène des personnages atypiques. David Lynch ne le sait pas encore, mais son premier long métrage va lui permettre de réaliser l'un des plus beaux drames humains du 7ième Art.


L'histoire est celle d'un individu vraisemblablement atteint du syndrome de Protée et d'une forme aiguë de neurofibromatose. Son apparence physique toutes en déformations et excroissances est terrifiante, ce qui lui vaudra très tôt d'être rejeté par sa famille, puis exposé sous l'appellation de l' "Homme Eléphant" dans les slideshows londoniens du 19ème siècle. Il sera exploité et maltraité jusqu'à ce que le docteur Frederick Treves tombe par hasard sur ce monstre de foire. Troublé par son apparence, Treves veut en faire un travail d'étude pour comprendre sa maladie et peut-être trouver un remède à ces malformations. Il sort alors cet être vivant de sa misère et le place au London Hospital. Treves découvrira assez vite que sous cette carcasse monstrueuse bat le coeur pur d'un jeune homme à l'intelligence raffinée... David Lynch met de côté ses labyrinthes, ses expérimentations et sa quête des mystères pour faire dans le cinéma qui va droit au but. Cette machinerie à réveiller les sentiments juxtapose avec dextérité plusieurs éléments. Le grain de la pellicule noir et blanc est superbe, nuancé, parfaitement adapté à la grisaille du monde, lequel s'individualise, s'industrialise, prend ses distances avec l'humanité. La mise en scène reste simple, gracieuse mais ferme dans les nombreux moments de malveillance. L'interprétation des acteurs est bouleversante.
John Hurt en tête, qui endosse avec beaucoup de talents l'épiderme impressionnant de ce John Merrick cinématographique inoubliable. La musique emporte le tout avec force et générosité jusqu'au bout d'un voyage infiniment lyrique. Lorsque j'ai vu pour la première fois Elephant Man, je me souviens avoir été absolument secoué par une multitude d'émotions contradictoires ou complémentaires. De la haine pour les tortionnaires. De la compassion impuissante pour Merrick. L'envie de baffer ces hommes qui se moquent ou qui montrent du doigt avec dédain la dissemblance. L'admiration teintée d'une joie intense lorsque l'art délicat de Merrick s'exprime enfin, par la prose ou par les arts plastiques. Ceux qui abusent de la gentillesse, ceux qui ne sont là que pour assouvir leur curiosité indécente et briller minablement en société, j'aurai voulu leur postillonner à la figure ! L'adaptation de David Lynch ne m'a pas montré que l'itinéraire d'un être d'exception. J'y ai vu la part odieuse des hommes. Cela va vous paraître ridicule et naïf, mais à l'époque, je suis sorti du film révolté contre moi-même, contre ma nature supérieure dite «humaine». Je me suis détesté.

Au fil des visionnages, j'ai surmonté la violence psychologique du film et la culpabilité qu'il peut stimuler. J'ai compris que derrière sa sensibilité à fleur de peau, se trouvent un hymne à la tolérance et une réflexion sur la futilité de certaines apparences. Il y a donc de l'espérance à prendre dans cette réalisation. Malgré tout, à chaque fois que le rideau d'étoiles se baisse, la mécanique implacable du marionnettiste Lynch manipule la bonne corde en moi : une boule dans le coeur grossit brusquement et explose. Elle libère du feu brûlant le long de la gorge. Les flammes invisibles s'estompent en faisant vaciller le menton. Puis, tout à coup, des braises propulsées par le vent s'attaquent aux globes oculaires. On les retient, mais elles jaillissent, à flots : des larmes... plein de larmes... Elles sont tièdes et soulagent. Il y a de l'émerveillement dans leur sel. Et pourtant, leur goût dominant reste la mélancolie. Allez savoir pourquoi.