6/10Dossier secret (Monsieur Arkadin)

/ Critique - écrit par Filipe, le 28/11/2005
Notre verdict : 6/10 - Citizen Arkadin (Fiche technique)

Richissime marchand d'armes, Monsieur Arkadin (alias Orson Welles) prétend être devenu amnésique et engage Guy Van Stratten (alias Robert Arden), un aventurier peu scrupuleux, pour qu'il l'aide à retrouver les principaux témoins de son passé. Il lui propose de préparer un dossier secret comprenant les principaux événements de son existence, moyennant une certaine rétribution. Van Stratten accepte. Seulement, à mesure que ces témoins éclairent l'enquêteur au sujet des activités d'Arkadin (avant qu'il ne devienne un magnat tout puissant), ils sont assassinés...

Orson Welles est donc parti pour l'Europe, en espérant bénéficier de plus de liberté pour la réalisation de ses films. Après avoir été aux commandes de l'adaptation cinématographique du célèbre Othello de William Shakespeare, il s'attache désormais à la confection de son Dossier secret, pour lequel il se serait inspiré de la vie d'un certain Basile Zaharoof, un marchand de canons mort à Monte-Carlo en 1936.

Le film est l'occasion de dresser le portrait d'un homme à travers une foule de témoignages : un procédé bien connu d'Orson Welles, dans la mesure où il l'employa quatorze ans plus tôt pour peindre celui d'un certain Charles Foster Kane, milliardaire de son état. Sans atteindre le niveau de perfection de Citizen Kane, ce Dossier secret (consacré à une autre forte tête, Monsieur Arkadin) présente bien des similitudes avec ce dernier. Au-delà de la simple quête d'identité, qui est à nouveau centrée sur le personnage d'Orson Welles, on découvre un Arkadin aussi puissant que Kane, si ce n'est plus. Bien que leurs parcours respectifs soient couverts de zones d'ombres, on les imagine aisément commanditant toutes sortes d'escroqueries et de malversations pour parvenir à leurs fins. Ils ne sont pas vraiment du genre à inspirer confiance. Le visage et l'allure générale de ce Monsieur Arkadin y sont pour beaucoup. Pourtant, c'est bel et bien ce dernier qui, guidé par on ne sait quel désir de reconnaissance ou de repentance, est à l'initiative de cette quête. Voilà qui est également à l'image de son homologue milliardaire qui, prononçant le mot "Rosebud" juste avant de s'éteindre, offrait un soupçon de matière et devenait l'étincelle de l'enquête du journaliste Thomson. Seule distinction entre les deux personnages : Arkadin assistera aux recherches menées par Van Stratten (le parfais anti-héros) au sujet de sa personne et en paiera le prix fort : dès les premiers balbutiements de l'enquête, on devine en effet que cette dernière se retournera contre lui, et lui seul.

Les scènes se succèdent tambour battant, au gré des indices qu'Orson Welles sème sur son passage. Les prises de vues sont rapides, négligeant le niveau de détail des décors. L'histoire nous transporte dans le sud de la France puis en Espagne, et nous expédie pour un temps au Mexique. Les personnages sont tantôt filmés de près, en contre-jour ou le visage noyé dans l'ombre, et sont tantôt entre aperçus sous forme de silhouettes, sortant d'un immeuble ou côtoyant une allée. Ils ne sont jamais montrés sous leur meilleur jour. Chacun d'entre eux y va de sa métaphore ou de sa figure de style. Certains préfèrent garder le silence... Toutes ces petites trouvailles techniques et scénaristiques alimentent nos incertitudes. Peu à peu, elles lèvent le voile sur un monde sans pitié, parsemé de traquenards et de voies sans issues, régi par les secrets et les mensonges de chacun. De là à comparer ce Monsieur Arkadin au numéro un du Parti communiste de l'époque, il n'y a évidemment qu'un pas...

Il est tout à fait regrettable qu'un film comme Dossier Secret demeure à ce point méconnu du grand public. Il n'est certes pas exempt de longueurs et c'est peu dire. On ressent l'épuisement de Van Stratten, qui se perd en conjectures. Mais d'un point de vue technique, ce long métrage est une mine d'ingéniosités. Je n'ai jamais été aussi attentif à la mise en scène d'un film que lorsque celui-ci était signé de la main d'Orson Welles. Pour celui-ci, il m'est arrivé de ne plus voir qu'elle, ce qui selon les circonstances pourra aussi bien être assimilé à un compliment qu'à un reproche. A vous de juger.