Dossier cinéma : les clichés des réalisateurs

/ Dossier - écrit par Hugo Ruher, le 04/07/2013

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Il nous est arrivé à tous de tomber au cours d’un film sur un petit quelque chose qui nous fait deviner instantanément à qui nous avons affaire. Un tic qui nous donne directement une information sur le réalisateur du film. Si tant est qu’on y prête attention, il devient difficile de regarder un film sans sortir un « typique de Truc… » d’un air un peu médisant qui vous vaudra à coup sûr des coups d’œil agacés dans la salle. Aujourd’hui, Krinein se demande ce que sont ces clichés de réalisateurs et surtout, à quoi ils servent.

 

Hitchcock, Jackson et des oiseaux

Pour commencer, il convient de se demander ce qu’on considère comme un cliché. Pour faire simple, c’est un élément qui revient à plusieurs reprises dans un film ou dans l’ensemble de la carrière d’un réalisateur. Il peut s’agir comme nous le verrons ensuite d’une scène-type, d’un effet particulier de mise en scène ou même d’un élément scénaristique. Certains clichés sont parfaitement volontaires et référencés, on parle même parfois de gimmick, une sorte de blague que les réalisateurs calent dans leur film. Par exemple, les célèbres caméos d’Hitchcock sont des gimmicks assumés qui deviennent un jeu pour les spectateurs.

On trouve cette pratique ensuite chez d’autres réalisateurs comme Peter Jackson qui apparaît dans chacun de ses films également. On peut alors parler de cliché sans l’aspect négatif qui est souvent associé au terme. Le cliché est alors ici une marque de fabrique, une petite blague pour initié qui permet au réalisateur d’apposer sa signature d’une manière un peu originale. Mais comme le fait d’apparaitre dans son propre film est devenu un peu trop répandu pour qu’on puisse considérer ceci comme une marque personnelle, d’autres réalisateurs ont trouvé des signatures un peu différentes.

Par exemple John Glen, le réalisateur de quelques James Bond avec Roger Moore puis Timothy Dalton s’amusait à toujours caser une scène bien spécifique dans chacun de ses films. En effet, le spectateur attentif pouvait voir à chaque fois la fameuse scène dans laquelle un oiseau surgit brusquement de nulle part à un moment où on ne l’attend pas. Pourquoi cette passion pour les oiseaux ? Très franchement je n’en ai aucune idée mais toujours est-il que John Glen a su créer son propre cliché de réalisateur, sa petite signature personnelle qui permet d’identifier ses films.


On la sent venir la scène à la John Glen là.

 

Dans d’autres circonstances, le cliché est un peu moins anodin. Il ne s’agit alors pas uniquement de mettre sa patte au film, mais plutôt pour le réalisateur d’afficher une de ses fascinations. L’exemple le plus connu est certainement celui de Tarantino, fétichiste assumé des pieds qui leur dédie une petite scène dans chacun de ses films. Parfois c’est un peu subtil comme le discours sur le massage des pieds dans Pulp Fiction, et parfois ça l’est moins comme le plan de 30 bonnes secondes sur les orteils d’Uma Thurman dans Kill Bill. Les fans recherchent à chaque film sa petite « scène de pied ». D’ailleurs, je n’ai pas souvenir d’en avoir vu une dans Django, si un gentil Krinaute veut bien réparer mon manque d’attention je suis tout ouïe. Dans le même genre « fascination plus ou moins étrange » nous avons Emir Kusturica qui aime à ponctuer ses films de scènes de pendaison, la plupart du temps plutôt drôles. Que ce soit la pendaison au bas-nylon de Arizona Dream ou celle à la cloche du Temps des Gitans, on voit un cliché qui est à la fois une marque de fabrique et l’expression d’un centre d’intérêt que le réalisateur veut à tout prix transmettre.

 
Le pied: un personnage redondant chez Tarantino.

 

Du petit tic involontaire au gros cliché insupportable

Mais il n’y a pas que ces scénettes qui mettent en lumière l’identité du réalisateur. Celui-ci peut aussi choisir de s’exprimer à travers des tics de mise en scène. On a tous nos petites manies et parfois, la naissance de ce genre de cliché est totalement inconsciente. Mais à force d’utilisation, il devient difficile de ne pas les remarquer pour le spectateur et a fortiori pour le réalisateur, et c’est là qu’on tombe dans le cliché, voire dans l’autoréférence, ce qui peut devenir énervant.

Je vais commencer par expliquer ceci avec le moins énervant des clichés : le fameux travelling de Scorsese. En effet, pour ceux qui ne l’auraient pas remarqué, notre cher Martin aime les longues scènes où on suit les personnages le long d’un couloir ou à travers différentes pièces d’une maison. Une technique de mise en scène très sophistiquée encourageant à de nombreux ratages mais où Scorsese s’en sort (la plupart du temps) haut la main.

Dans le même style, un tic de mise en scène qui laisse la plupart des gens indifférents mais qui pour une raison inconnue m’énerve vraiment est celui de J.J Abrams. Il est plutôt populaire en ce moment même si j’ai toujours du mal à savoir pourquoi mais un détail rend ses films terriblement similaires graphiquement : le rayon de lumière à l’horizontale. Okaaay c’est rien du tout je sais, mais quand dans 50% du film on trouve le même plan de la lampe, du soleil ou autre qui se cache jusqu’à ne former qu’un rayon qui traverse l’écran de gauche à droite, c’est énervant. Ce rayon va parfois même jusqu’à masquer les personnages mais là c’est peut-être une astuce pour camoufler le mauvais jeu, je peux comprendre.


J.J a peut-être les nouvelles lunettes Google et il voit tout comme ça.

 

Et sinon, pour aller plus loin dans les clichés de mise en scène, il y a toute l’imagerie que les réalisateurs reproduisent à l’infini d’un film à l’autre. Dans le genre, le récent Gatsby le magnifique a démontré qu’il était difficile pour Baz Luhrmann de se détacher de son imagerie flamboyante et de sa mise en scène survoltée. Une marque de fabrique qui rend ses films directement identifiables mais qui peut agacer, surtout quand les ficelles sont usées.

Et en parlant de ficelles usées, voici le plus grand recycleur de décors du monde : Tim Burton. C’est bien simple, le cliché « Film de Tim Burton » est tellement assumé que je ne serais pas étonné qu’il ressorte les mêmes éléments de décors pour chacun de ses films. Des arbres tordus, des châteaux gothiques, des cimetières etc… Toute une imagerie qui doit être faite au départ pour se démarquer et pour créer son univers mais qui finit par devenir un catalogue de clichés complètement autoréférencés. Il faut dire que pour ce genre de réalisateur très particulier, il devient difficile de sortir des clichés que l’on a créés. Ainsi, dès que Tim Burton a sorti quelque chose de différents comme Ed Wood ou  La planète des Singes, ça a été qualifié de films qui ne lui ressemblaient pas. Apparemment, développer une armada de clichés permet peut-être de se bâtir une identité, mais empêche d’en sortir.

 
Pour Luhrmann rien n'est jamais surchargé.

 

Pour finir, parlons d’un type de cliché un peu moins évident à voir de prime abord : le cliché scénaristique. Ici, il s’agit de bien connaître la filmographie d’un réalisateur et les films donc je ne donnerais que le seul exemple auquel je pense : James Cameron. Un réalisateur et un scénariste que nous qualifierons… d’inégal. Comme ça tout le monde est content. En tout cas, il ne semble pas capable de sortir d’une cellule scénaristique construite à l’identique de film en film. L’histoire est plus ou moins la même à chaque fois : deux personnes que tout oppose et qui finissent par apprendre à se connaître bla bla bla… Terminator 2, Titanic, Avatar. Tout se ressemble ! Un cliché qui explique peut-être la descente graduelle de ses films auprès des critiques. Mais après tout comment lui en vouloir ? Le public est toujours au rendez-vous. Preuve que ces clichés ne sont peut-être pas si insupportables que ça.

Voilà pour ce dossier, bien sûr il n’y a pas tout et on pourrait citer les dialogues de Tarantino, ceux de Woody Allen, les effets visuels de Gondry etc… Chaque réalisateur a ses petits clichés. Pour certains c’est une solution de facilité, pour d’autres c’est totalement involontaire et pour d’autres encore c’est une manière plus ou moins efficace et pertinente de se forger une identité cinématographique.