The Devil's Rejects
Cinéma / Critique - écrit par Lestat, le 21/07/2006 (Motherfucker !
Voilà c'est fait, Rob Zombie vient d'entrer dans le Grand Dictionnaire du Cinéma. Par la fenêtre et à grands coups de fusil à pompe certes, mais force est de constater qu'avec The Devil's Rejects, sa nouvelle traînée de poudre, il a désormais tout pour se faire un nom dans le septième art. Si House of 1000 Corpses (astucieusement nommé La Maison des Mille Morts pour sa sortie DVD en France) était avant tout une sorte de train-fantôme potache, où Rob Zombie étalait autant ses références (Argento, Hooper...) que le résultat de ses propres expérimentations -le clip Dragula étant le brouillon le plus flagrant de ce premier film-, The Devil's Rejects prend un tournant radical. Petit rappel : dans House of 1000 Corpses, nous faisions connaissance avec le clan Firefly : Maman Firefly, flingueuse de choc, Otis, un géant chevelu amateur de costumes en peau humaine, le Capitaine Spaulding, brave type pour peu qu'il n'ait pas son magnum à la main, Tiny, monstre difforme au visage camouflé -car sévèrement brûlé-, Baby, blonde craquante semblant trouver l'orgasme dans le meurtre et j'en passe des pires -mention spéciale au petit dernier, conservé dans du formol-. Tout ce petit monde s'agitant le temps d'un jeu de massacre bariolé, peuplé de touristes malchanceux et de créatures cauchemardesques. Pour The Devil's Rejects, changement de donne. Le surjeu décapant, le look cabaret/néons, le grand-guignol... à la trappe ! Place au sang, à la poussière et à trois psychopathes traqués par un shérif rendu fou-furieux par l'appétit de vengeance.
Ce petit scénario mis en place, il n'y a plus qu'à défourailler. Ce qui saute aux yeux d'emblée, c'est le côté beaucoup plus simple et structuré de l'ensemble. Si House of 1000 Corpses témoignait de l'univers fait de bric et de broc de son réalisateur, The Devil's Rejects se fait plus ambitieux, citant ses références discrètement. La Dernière Maison sur la Gauche, toujours elle, le temps d'une prise d'otage dans un motel qui tourne forcément mal. La saga Vendredi 13, pourquoi pas, avec ce géant défiguré portant un sac à patates sur la tête. Massacre à la tronçonneuse, encore une fois. Et Sam Peckinpah. Si Rob Zombie reprend un peu de la Horde Sauvage avec ces bandits assassins en prise avec un shérif encore pire qu'eux, c'est également à Apportez Moi la Tête d'Alfredo Garcia que l'on se met à penser, notamment lors d'un final qui calmera rapidement tout le monde. Sur les traces de ses modèles -on a connu pires-, Rob Zombie livre un film nerveux, violent et complètement immoral. Plutôt premier degré, sorti de quelques passages surréalistes -notamment un passage insensé avec un spécialiste de Groucho Marx, permettant un dialogue battant Tarantino sur son propre terrain-, The Devil's Rejects nous met constamment en porte à faux. Et ce n'est pas tant les exactions du Capitaine Spaulding, d'Otis et de Baby, déjà constatées dans House of 1000 Corpses, qui suscitent le dérangement, mais le fait que ce trio de raclures devient au fur et à mesure des personnages provoquant l'émotion et l'empathie. Le tour de force de Rob Zombie étant de susciter ces sentiments sans pour autant rendre ses personnages sympathiques : Otis est un gros taré, Baby une psychopathe et le Capitaine Spaulding, clown débonnaire qui apparaissait jusqu'alors comme un gros plouc pas trop méchant, s'avère finalement être le pire de cette fratrie de malades. Viol, meurtres, mutilations, l'éventail des exactions est varié. De l'autre côté de la Loi, le shérif Wydel, dont le frère a été abattu dans House of 1000 Corpses. Mettant quasiment son insigne au placard, il va prendre les armes et traquer sans merci ce qui reste du clan Firefly. Il va arriver à ses fins bien sûr, et ça fera mal, très mal. Avant le revers de bâton... Pour autant, personne n'est vraiment le héros de cette sale histoire. Les valeurs n'existent plus, quand elles ne sont pas complètement inversées, à l'image d'un Otis au look christique affirmant être le diable personnifié.
Côté réalisation, Rob Zombie a également changé sa façon de faire depuis House of 1000 Corpses. Terminé -ou peu s'en faut- les éclairages, les filtres, les images en négatifs et autres artifices qui ont tant divisé les spectateurs. Si le chanteur-réalisateur ne peut s'empêcher de faire trembloter sa caméra, il emballe des scènes d'une efficacité exemplaires. Maniant tant la violence psychologique -le motel- que davantage graphique -Otis qui pète les plombs et se lâche sur deux musiciens-, Rob Zombie nous offre en introduction une fusillade démente, jouant l'attente, la préparation puis soudain le branle-bas de combat où quatre hors-la-loi en armure canardent une armada de policiers, et vice versa. A l'inverse, l'attaque soudaine d'une maison close, point de chute temporaire des fuyards, nous sera montrée avec une élégance rare, chorégraphiée et hantée par une musique mélancolique. Comme pour prouver une fois encore que ce film est plus sérieux que son prédécesseur, chaque acteur joue son rôle de la manière qu'il faut, sans excès. D'ailleurs parlons-en du casting : si l'on retrouve avec bonheur Sid Haig (Spaulding) et Bill Moseley (Otis), The Devil's Rejects nous offre un parterre de gueules qu'on avait plus vu depuis... longtemps. Se partagent ainsi l'affiche Michael Berryman (grand chauve de La Colline a des Yeux, version Craven), Danny Trejo (quand dans un film il faut un chicanos... c'est lui), William Forsythe (Dernières heures à Denver) ou encore Ken Foree ("quand il n'y a plus de place en enfer, les morts reviennent sur terre"). Tous sont parfaits: Forsythe est hallucinant en shérif Wydel, Sid Haig joue la menace sourde avec un brio certain, Moseley fait peur, le jeu de Berryman parait presque sobre, Foree est à se tordre de rire en tenancier de bordel, quand à Trejo, il a une telle tronche qu'il n'a de toute façon pas besoin de jouer pour exister à l'écran. Mieux, Rob Zombie a l'intelligence de faire se croiser cette ahurissante galerie de portraits, permettant à Sid Haig et Ken Foree de se donner la réplique avec un plaisir aussi visible que communicatif. Un bémol cependant, les rôles de Michael Berryman et Danny Trejo étant aux frontières de la figuration intelligente. Ce qui est surtout dommage pour Trejo, dont le personnage de mercenaire méritait davantage d'étoffe. Côté femme, dans le rôle de Maman Firefly, Leslie Easterbrook succède à Karen Black et parvient sans peine à la faire oublier. Quand à Sheri Moon-Zombie, aidé par son physique à la fois dur et angélique, elle reste parfaite dans le registre de la Lolita cachant une furie, lorsque son rocker de mari ne profite pas de l'occasion pour cadrer son affolant... jean taille basse (restons correct, c'est un site sérieux ici).
Entre le western moderne et le film de cavale, The Devil's Rejects oscille entre le poignant et le jouissif. Poignant par les sentiments contraires qu'il procure. Jouissif, car le film se présente comme une sorte de fantasme assouvi et à bien y réfléchir, il n'y a bien que les westerns spaghettis a nous avoir offert des concepts de cette trempe, où des personnages plus pourris les uns que les autres s'affrontent dans un coin de désert. Malgré quelques menus défauts, The Devil's Rejects parviendra toutefois à surprendre ceux qui attendaient un bête film de bourrin, par ses moments d'accalmies et l'étude des personnages, tout autant développés que les coups de pétoires. Simpliste mais assez riche, Rob Zombie nous assène même un début de réflexion avec cette famille divisée, dissoute, qui se retrouvera dans le crime et la fuite. Si une fois encore, le film n'est pas vraiment parfait, The Devil's Rejects, débarrassé de toutes extravagances visuelles et des private-joke qui ont parfois perdu les spectateurs d'House of 1000 Corpses, permet à Rob Zombie de transformer son essai et par la même occasion, de faire son premier véritable pas dans le cinéma qu'il aime tant. Réalisateur doué, généreux et doté d'un univers propre, le musicien-cinéphile a de beaux jours devant lui. A l'inverse de ses personnages...