Un conte de Noël
Cinéma / Critique - écrit par nazonfly, le 30/05/2008 (Le film français dans sa splendeur. Verbeux et pédant, mais intéressant. A ne conseiller qu'aux esprits bien accrochés.
Arnaud Desplechin est l'un de ces réalisateurs acclamés par la critique et dont tous les films ont été en compétition à Cannes dans une catégorie ou une autre. Son oeuvre précédente, Rois et Reine, était intelligente et sensible, malgré une façon de (sur)jouer rappelant le théâtre. Qu'en est-il de Un conte de Noël, une fois de plus, adoubé par le monde du cinéma ?
Des longueurs et un sujet rebattu
La grande famille du théâtreUn conte de Noël est l'histoire d'une famille bourgeoise de Roubaix. Je vous rassure, ici, on est loin des « biloutes » ou de l'accent cheutimi. Ici c'est la bourgeoisie, mâdâme, on écrit des pièces de théâtre à l'âge de cinq ans ; on lit l'allemand aussi facilement que le français ; on peint de superbes tableaux. Ici, on a un vocabulaire forcément pédant : les enfants, regardant des flocons tomber, lancent un « Il neige » presque choquant. Tout respire l'intelligenzia, la haute société. Si bien qu'assez rapidement le film plonge le spectateur dans un ennui total, abattu par des phrases alambiquées. Décrire cette famille ne pouvant évidemment pas faire un film, il faut quelque chose de plus : cet habituel secret de famille, ces déviances vues et revues, ces non-dits qui pourrissent la vie, ces défauts de la famille qu'on a rencontrés déjà mille fois au cinéma, montés ici en épingle par la relation entre une soeur (Elizabeth - Anne Consigny) et un frère (Henri - Mathieu Amalric), entre une mère (Junon - Catherine Deneuve) et son fils (ce même Henri). Le spectateur est lâché au milieu de cette famille et se retrouve comme un parachutiste en pleine jungle : il ne comprend pas ce qui lui arrive, il tente de comprendre les relations entre les différents personnages. Cette mise en place durera une bonne demi-heure qui paraîtra plus longue encore qu'un jour sans pain.
Plus d'amour, partant, plus de joie
Ya du monde au balconRapidement, quand le film commence à se lancer réellement, viennent se greffer des thèmes annexes : la maladie, celle de Junon qui a besoin d'une greffe que seul un membre de sa famille pourra lui offrir, mais aussi celle de Paul (Emile Berling), fils d'Elizabeth, à deux doigts de la folie ; la mort, celle de l'aîné de la famille, décédé à l'âge de 6-7 ans, mais aussi celle de Madeleine, la femme d'Henri. Ce qui peut sembler être un tableau très noir, haineux et triste se révèle à l'écran aussi sous un jour humoristique, notamment grâce à Henri : heureux les fêlés, car ils laissent passer la lumière. Mais s'il y a un sentiment quasiment absent du film, c'est l'amour. Les seuls amours sont soit passés, voire imaginés, soit impossibles. D'où souvent des dialogues très durs, et on vous citera sûrement celui entre Junon et son fils. D'où aussi la sensation d'un faux rythme sur lequel se déroule le film, un gnan-gnan ronronnant.
Des acteurs brillants au service d'un symbolisme trop nébuleux
T'as mal Ric ? (jeu de mot © krinein 2008)Et pourtant, Un conte de Noël a d'indéniables qualités. Les acteurs, fine fleur du cinéma français, donnent une vie au film. Amalric est ébouriffant de folie, d'humour noir (on attend avec impatience de le voir dans James Bond). Deneuve, en mère omnipotente, occupe l'image d'une façon magistrale. Consigny, épuisante et détestable, porte en elle toutes les misères du monde. Jusqu'à Roussillon, père débonnaire, qui laisse sa famille partir en morceaux sans s'y impliquer. Et dire que, dans cette liste, il faut encore rajouter Emmanuelle Devos, Hippolyte Girardot, Melvil Poupaud ou Chiara Mastroianni.
Et que dire du symbolisme omniprésent dans le film, si omniprésent qu'à part Desplechin, personne ne peut prétendre comprendre entièrement Un conte de Noël ? Quand les personnages se prénomment Junon, Abel, Madeleine, Elizabeth ou Paul Dédalus, on se dit forcément que ce n'est pas par hasard. Il y a une raison. Mais quel message veut nous faire passer Desplechin ? On est bien en peine de le savoir. Quand on cite Nietzsche ou Emerson, on se dit qu'il faut avoir une grande culture littéraire pour poser des ponts, faire des liens, pour comprendre. Quand Desplechin parle en interview de films de Wes Anderson, de Bergman, de Renoir ou de Scorsese, on se dit que le film va encore plus loin, mélangeant références littéraires, cinématographiques. Enfin quand le film se déroule à Roubaix, ville de naissance du réalisateur, on se dit que c'est mort, qu'il faut être Arnaud Desplechin pour comprendre la globalité du film, et on peut se laisser porter, l'oeil abruti, par des images et des scènes dont le deuxième sens nous sera inaccessible.
Si le fond de ce Conte de Noël est intéressant, la forme est détestable. Inaccessible, pédant, lourd, nébuleux et prétentieux, le film tombe dans tous les clichés du cinéma français. Sans doute plaira-t-il à certains car il ne manque pourtant pas de qualités, mais l'ensemble est malheureusement loin d'être convaincant.