Comparatif - La Mouche Noire / La Mouche

/ Dossier - écrit par Lestat, le 28/12/2006

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Comparatif entre La Mouche Noire de 1958 et La Mouche de 1986

La Mouche Noire
Kurt Neumann 1958

La Mouche
David Cronenberg 1986



Pratique souvent conspuée et encore plus généralement motivée par de basses raisons commerciales, le remake doit ses plus belles réussites aux réalisateurs ayant su, paradoxalement, se séparer de l'existant pour se le réapproprier et en livrer une relecture personnelle. Brian De Palma et Scarface. Werner Herzog et Nosferatu. John Carpenter et The Thing. Alexandre Aja et la Colline a des Yeux. Et tout en haut, La Mouche de David Cronenberg, inspiré d'un petit classique des années 50 avec Vincent Price. Si le film originel est aujourd'hui un peu oublié, l'adaptation de Cronenberg est devenu un véritable film culte, qui, tout en étant l'un des projets les plus grand public de son réalisateur, s'inscrit pleinement dans son oeuvre obsédée par les mutations de la chair. L'intelligence de cette nouvelle approche fait que le métrage de Kurt Neumann n'est pas devenu un film d'horreur gentiment kitch que l'on regarde amusé, mais bien un film ayant conservé toute sa force et sa tonalité dramatique, tout en devenant, au fil du temps, une référence visuelle exploitée dans l'univers du cinéma ou du clip le temps d'un clin d'oeil. Phénomène étrange, l'adaptation de Cronenberg, bien que nous proposant une des créatures les plus impressionnantes des années 80 avec celle de The Thing, n'aura semble-t-il pas le même impact iconique que son aîné. Tout au plus il convient de citer Half Life, où le design des monstres-lanceurs d'éclairs trahit une influence de la version finale de Brundle-mouche.

Cocon

De Neumann à Cronenberg, le postulat de départ ne change pas d'un pouce. Un scientifique (André Delambre en 58, Seth Brundle en 86) invente un engin de téléportation qu'il expérimente sur quelques cobayes avant de rentrer lui-même dans la machine. Invitée surprise, une mouche se glissera dans l'habitacle et au cours de la manoeuvre, fusionnera littéralement avec le savant, le transformant en horrible mutant. De là, nous suivons les tentatives du malheureux pour retrouver figure humaine, ainsi que son quotidien de monstre. Le film de Cronenberg suit presque à la lettre les grandes lignes de La Mouche Noire : l'expérience qui tourne mal, les relations du scientifique transformé avec, pour l'un son épouse, pour l'autre sa petite amie, les difficultés pour se nourrir, etc. En revanche, Cronenberg se désintéresse complètement -ce qui, quelque part, se comprend-, de la mini sous-intrigue bien développée par Neumann, se rattachant aux réactions de l'entourage de Delambre face au malheur de l'infortuné chercheur. L'occasion pour Neumann de s'offrir les services de Vincent Price, abusivement catapulté en tête d'affiche alors que son rôle est assez secondaire. En cela, La Mouche Noire s'éloigne du fantastique ou de l'horreur pour atteindre les rivages de la tragédie, là où La Mouche reste furieusement ancré dans le genre, car principalement axé sur Seth Brundle, qui par ailleurs ne semble pas avoir d'attaches familiales ou amicales.

Mutation

La vision de la métamorphose de Neumann et Cronenberg est très différente. Film de portée modeste, La Mouche Noire cultive le non-dit quant à sa créature, ne la dévoilant que par bribes, jusqu'à un plan anthologique où Delambre se retourne face à son épouse, dévoilant son hideuse tête de mouche. L'effet spécial peut aujourd'hui faire sourire, il n'empêche que cette scène précise a gardé une force exemplaire, cultivée par le fait que le spectateur découvre la créature dans toute son horreur en même temps que le personnage principal. On notera par ailleurs un effet visuel intéressant, alors que Delambre-mouche contemple sa malheureuse femme par la vision déformée de ses yeux d'insecte. Contrairement à Cronenberg, Neumann, probablement motivé par son budget, privilégie une mutation immédiate, comme si la téléportation avait immédiatement associé des bouts de mouche à l'organisme de Delambre. Une approche qui permet au passage un petit twist final des plus glaçants, dont la reprise aurait d'ailleurs grandi le Cronenberg. Le réalisateur canadien, puisque l'on parle de lui, préfère une mutation qui va crescendo : son Seth Brundle, au sortir du désastre, se porte tout d'abord comme un charme. Sa santé n'a jamais été aussi éclatante, il déborde d'énergie, sa libido est volcanique et sa force sans comparaison. Qu'il fasse de la barre parallèle toute la nuit, remporte un bras de fer en provoquant une belle fracture ouverte ou emmène plusieurs fois de suite Geena Davis au 7ème ciel, tout lui est possible. Ses métamorphoses seront tout d'abord internes : caractère changeant, appétit grandissant pour le sucre, attitude de mâle reproducteur... Ensuite, Seth Brundle se découvrira des particularités contre-nature et cette fois plus physiques : de la glue au bout des doigts, des poils étranges lui recouvrant le corps, jusqu'à une implacable déchéance où il semblera pourrir sur place, attaqué par un mal qu'il ne comprend que trop bien. D'ailleurs, contrairement à Neumann, Cronenberg ne se gêne pas pour en montrer le maximum, transformant la scène du repas (soupe pour l'un, biscuits pour l'autre), plutôt pathétique dans l'original, en un instant répugnant qui frise le burlesque. Mais pour Cronenberg, le côté fusionnel entre mouche et humain va encore plus loin. Seth Brundle, devenant son propre sujet d'étude, se rebaptise progressivement "Brundle-mouche". Sa part d'insecte fait alors partie de lui, au point de parasiter son identité propre. Contrairement à André Delambre, qui malgré son aspect peu amène restait un être humain, Seth Brundle est un homme-mouche dans le sens le plus littéral du therme, jusqu'à sa spectaculaire transformation finale.

Cerveau

Si l'on excepte les fulgurances graphiques de Cronenberg, c'est sans doute sur son rapport à l'actualité du moment que se distingue le plus La Mouche de La Mouche Noire. Ce dernier est un digne représentant des années 50, celles de Godzilla, de l'Homme qui rétrécit ou de Them : Les monstres attaquent la ville. Dans ces films comme dans La Mouche Noire, la peur d'une science mal maîtrisée qui se retourne contre l'humain trop arrogant. Tout au plus La Mouche Noire en rajoute-t-elle une couche dans la portée métaphysique par la présence d'un chat victime d'une téléportation ratée qui, désincarné, se retrouve condamné à errer, invisible, dans des limbes inconnues. Avec Cronenberg, la donne change. La Mouche est un film des années 80 et plus précisément, celles du SIDA. Si le virus en lui-même n'a sans doute pas attendu le XXème siècle pour surgir, ce n'est en effet qu'au début des années 80 que le VIH sera "découvert" et déterminé comme tel. L'accident de Seth Brundle prend un aspect assez métaphorique de la maladie, une maladie qu'il combat, qui le détériore, qui le coupe du monde et qui l'assimile au point qu'il n'existe plus que par son biais. Le cancer, autre fléau de notre temps, surgit également entre les lignes de la Mouche. Dans le monde de chair et de sexe du réalisateur surnage également une certaine idée de la maternité et de la gynécologie, entremêlant peur et fascination. La Mouche n'y fait pas abstraction et permet de donner un peu plus de poids au personnage joué par Geena Davis, qui, empêtrée dans sa relation avec Brundle, rêve d'un accouchement monstrueux où elle enfante une larve gigotante. Une mutation sexuellement transmissible donc, concept qui trouvera toute son exploitation dans La Mouche 2, très honnête complément au dénouement d'une noirceur inouïe, où le fils de Brundle, 5 ans et déjà adulte, marche dans les pas de son père.

Nerfs

Si La Mouche Noire et La Mouche s'opposent, c'est aussi parce que les émotions que véhiculent l'un et l'autre ne sont pas les mêmes. Le film de Cronenberg est très sombre. Pour autant, Seth Brundle n'inspire que rarement la pitié. La Mouche est un film de savant-fou, où Brundle se retrouve tiraillé entre son état physique dévasté et ses recherches obsessionnelles, finissant quasiment par accepter sa nouvelle condition pour mieux pouvoir l'étudier. Si la conclusion du film apparaît bien cruelle, preuve que Cronenberg a malgré tout provoqué une empathie envers son monstre, elle n'est pas marquée par la volonté de Brundle de redevenir humain, mais au contraire par celle d'atteindre une sorte de plénitude dans son évolution, fusion parfaite entre l'insecte, l'homme et la femme. La Mouche Noire en revanche, atteint le statut de film de monstre. André Delambre est pour sa part effondré par sa métamorphose et n'aura de cesse de retrouver LA mouche avec qui il a bien malgré lui partagé ses gènes. Autant chercher une aiguille dans une botte de foin. Cloîtré dans son laboratoire, se cachant de ses proches, Delambre vit une existence misérable et subit les nouveaux appendices de son corps plutôt que de les exploiter à son avantage (chose que Seth Brundle n'aurait sans doute pas manqué de faire). Dans l'entourage de Delambre, comme dit précédemment, l'ambiance n'est pas davantage à la fête : l'épouse est éplorée, le casting affiche des têtes de six-pieds de long -même si Vincent Price ne peut s'empêcher de cabotiner un brin- et tous se serrent les coudes pour délivrer Delambre de sa condition peu enviable. En cela, La Mouche Noire apparaît comme un film beaucoup plus dramatique que le Cronenberg, voire bien plus sombre. Particulièrement traumatisant -ceux qui l'ont vu ne l'ont jamais oublié-, le dénouement, placé sous le signe de l'horreur totale, ajoute une touche de désespoir bien à propos.

Reproduction

La Mouche est un film objectivement plus réussi que La Mouche Noire. Des deux oeuvres, La Mouche Noire est celle qui enfanta le plus de petits. D'abord par le biais de deux suites, Le Retour de la Mouche -le fils de Delambre continue les expériences de son père- et La Malédiction de la Mouche -film fantastique un peu à part suivant un autre canevas que celui de l'expérience/transformation-. Ensuite par quelques série B ayant suivi son sillage. Parmi elles, citons La Femme Guêpe (1960), sympathique réalisation signée du toujours réactif Roger Corman. Fruit d'une expérience cosmétique douteuse, la femme qui deviendra la Femme Guêpe commencera, tel un lointain descendant du Cronenberg, par se sentir plutôt bien dans sa peau avant de subir l'inéluctable métamorphose. N'oublions pas enfin ces réalisateurs, de Rob Zombie à Tim Burton, qui rendent hommage à quelques plans marquants de cette oeuvrette, que l'on peut ainsi connaître sans même l'avoir vu.