Clerks, les employés modèles
Cinéma / Critique - écrit par knackimax, le 11/03/2008 (Tags : film smith clerks kevin employes films comedie
Deux hommes discutent de rien pour nous expliquer tout. Derrière un sujet bavard et simpliste, Kevin Smith invente son cinéma avec cette première réalisation quasi exempte de défauts.
La première réalisation de Kevin Smith est le coup de maître qui lui a permis d'enchaîner ses autres délires à une vitesse record durant les quinze dernières années. C'est aussi à la suite de ce petit budget autofinancé de 28K$ que nous avons pu nous délecter de ses dialogues débiles mais passionnants et de ses personnages fantastiques et inutiles. C'est grâce à cet homme à la bedaine immobile et bavarde que nous avons eu le droit de subir l'affront d'un Ben Affleck omniprésent sur nos écrans depuis... quinze ans.
Tout commence simplement. Dante est supposé être de repos mais il choisit de se rendre à son lot quotidien pour remplacer son patron. Il travaille dans un "Convenience store" du nom de Quick Stop au beau milieu de la ville de Leonardo dans le new Jersey. Les tâches simples et répétitives de son quotidien s'enchaînent et c'est déjà l'ouverture. Personne ne rentre pendant quelques temps jusqu'à l'entrée du deuxième compère : Randal. Accompagné d'une indétrônable casquette de sport, celui-ci s'installe au côté de notre jeune homme desséché au bouc désabusé. Ils commencent à discuter de pratiques sexuelles, de la sélection des œufs ou encore de la gestion des contrats indépendants des couvreurs travaillant sur le(s) toit(s) de l'étoile de la mort. Prenant à parti certains de leurs rares clients, en ignorant d'autres, la journée passe, accompagnée d'un nombre incroyable de petites anecdotes et histoires en tous genres. Les deux compères n'hésitent pas à fermer boutique pour aller à l'enterrement d'une ex petite amie où pour jouer un match de hockey sur le toit du magasin. Randall travaille quant à lui dans le vidéo club adjoint à la boutique de proximité où ces deux "employés modèles" perdent leur temps à discuter d'une vie qu'ils ne réalisent pas et à laquelle ils n'ont jamais vraiment participés.
Les dialogues sont puissants et drôles et posent le style d'un Kevin Smith dont le monde de ses fans se délecte depuis lors. La marque de fabrique est là et répond enfin à une attente du public ennuyé des campagnes de la grande Amérique.
Le choix du noir et blanc donne une impression de nostalgie qui provoque chez le spectateur un sentiment de transfert. On a envie de la vie simple de ces deux antihéros comme s'ils avaient tout compris. Cet ode à la quintessence de la loose est un classique et se doit, à ce titre, de posséder le format qui y convient. L'hommage à la profession que Kevin Smith a forcément écumé et rabâché en devient charmant, touchant et personnel et nous atteint à titre personnel entre deux situations graveleuses accompagnées d'une discussion mal placée sur la mort.
Il s'agit également de l'annonce d'un univers haut en couleurs que le maître de l'angoisse du silence nous fera partager en long en large et en travers dans les multiples suites et produits dérivés qui composent le panorama de son cinéma. Parlons par exemple de son couple formé à l'écran comme à la ville que sont Silent Bob et Jay. Dans ses films, Kevin se met en scène comme un dealer de Hash silencieux accompagné de son associé hyper bruyant et vulgaire. Ces deux comparses que sont lui-même et son ami de toujours Jason Mewes donnent les premières saveurs d'une multitude de personnages secondaires criants de vérité et affublés d'un humour autoporté cynique et efficace. Décidément rompu à la technique de l'autocatégorèse, l'ami barbu et jovial s'enlève toutes les limites du séant et tartine sa pellicule de tartes à la crème citronnée. Ca pique et c'est bon.
Certes il ne va pas bien loin en restant chez lui, dans un univers qu'il connaît par cœur et où il a laissé le sien mais la description est faite de ses subtilités qu'on ne reconnait que lorsque l'on habite un endroit paumé qui correspond au centre de l'univers... connu. Ce genre d'endroit on ne le quitte jamais.
C'est donc un plaisir de savoir que ce projet a abouti en partant de nulle part et que le cher crétin s'est endetté jusqu'au cou pour réaliser le jouet de ses pensées. Sans ce premier opus encore un peu bridé, la force n'aurait pas triomphé. Devenu un des films les plus rentables de sa génération, il s'agit avant tout de l'avènement d'une personnalité d'un réalisme hallucinant bien que faisant parti de cette virtualité qui entoure les esprits barrés. La réussite est absolue et la toile comporte trop peu de défauts pour être cités. Le nouveau style est inventé : trop bavard sans jamais nous ennuyer.