La chair et le sang
Cinéma / Critique - écrit par Lestat, le 06/05/2008 (Le Moyen Âge par Paul Verhoeven ? Contre toute attente un des plus beaux films américains de son auteur.
1501. Entre la fin du Moyen Âge et le début de la Renaissance, l'Europe est en pleine schizophrénie. Evoluant dans ce chaos, Martin, un mercenaire à la tête d'une troupe de renégats, tente de faire fortune. Mais son regard croise celui d'une femme trop noble pour lui, déjà courtisé par le fils d'un seigneur local...
" Tu as la figure honnête, mais les pieds grivois ! "
La Chair et le Sang est un film de transition pour Paul Verhoeven, qui, quittant sa Hollande natale, traversait plus ou moins malgré-lui ici l'Atlantique pour aborder la période américaine qui finalement fera sa renommée (dans le sens que sa filmographie antérieure est moins connue de tout un chacun). Curieusement, s'il est difficile de voir en La Chair et le Sang un juste indicateur de l'oeuvre à venir du cinéaste, le film pourrait pourtant se rapprocher d'un projet prometteur qui n'a jamais vu le jour : Crusades avec Arnold Schwarzenegger, que devait tourner Verhoeven durant les années 90. A en croire les échos ayant subsisté de cet avortement, Crusades abordait alors la Guerre Sainte sous un angle, justement, assez peu catholique, faisant du Soldat de Dieu une sorte de brute, concernée par les questions religieuses à mesure que celles-ci favorisent ses intérêts. Avec la pointe d'ironie qui le caractérise, Paul Verhoeven en offre ici une sorte de brouillon. Ses prêtres sont défroqués, son Martin ne croit en rien et n'évoque la sainte relique dont il est détenteur que pour faire accepter ses propres décisions.
Sans (trop) tomber dans la provocation, cet anticléricalisme appuie la peinture de Verhoeven d'une époque bâtarde et en manque de repères, hésitant entre la sagesse des nouveaux penseurs et les ripailles paillardes de l'ancien temps. Une dualité que l'on retrouve dans le personnage de Martin, homme de terrain et de force, et de sa nemesis, un lettré admirateur de Léonard de Vinci. L'affrontement qui s'en suivra sera celui de deux conceptions de la guerre. L'une traditionnelle, au corps à corps, hache à la main, et l'autre, plus moderne, via les prémices de la mécanique et de la guerre bactériologique.
En cette période sombre où rien n'est sûr, La Chair et le Sang pourrait également se rapprocher d'un film comme La Guerre du Feu, dans le sens que la découverte, de l'autre et de soi-même, y tient une place importante. Découverte de l'amour. Découverte de la sexualité, où le viol devient une sorte de danse ambigu où chacun tente de prendre le dessus sur l'autre. Découverte de la vie, pour cette nonne blessée qui, sortie des ordres, goûtera à une autre facette de l'existence. Découverte aussi d'une certaine nature humaine, où les différences d'éducation s'émoussent et les lames sortent lorsqu'il s'agit de récupérer son bien ou sa dulcinée.
La Chair et le Sang ne ment pas sur la marchandise. Il y a de la chair, sale et vérolée, blanche et dénudée. Du sang, noble ou souillé de peste, qui s'écoule au fil d'affrontements barbares. Et la fragile alchimie entre les deux : des hommes, des femmes, des enfants, tous plus paumés les uns que les autres. Assurément, cela forme les plus beaux des héros. Et le moindre n'est pas Martin, sacralisé dans plan final dont il est difficile de ne pas tomber amoureux.