Apportez-moi la tête d'Alfredo Garcia
Cinéma / Critique - écrit par Lestat, le 12/09/2006 (Tags : alfredo peckinpah film garcia sam apportez films
« Viens Alfredo, on s'en va... »
Indécrottable séducteur, Alfredo Garcia a engrossé la fille de trop : celle d'El Jefe. Puissant caïd, celui-ci envoie une armée de tueurs à ses trousses, avec comme carotte une coquette somme à qui ramènera, littéralement, la tête du Dom Juan. Pianiste dans un bar miteux, Benny voit dans ce pactole l'occasion de s'offrir une vie meilleure. D'autant que le pauvre Garcia est mort et enterré. Ne reste qu'à le déterrer, le décapiter et ramener l'objet du désir au commanditaire. C'est sans compter les sbires d'El Jefe qui commettront l'erreur de tuer la femme de sa vie...
En 1973, Sam Peckinpah tourne son dernier véritable western, le magnifique Pat Garrett et Billy The Kid, dernier clou sur le cercueil du genre, rythmé par la musique nonchalante de Bob Dylan. Si le réalisateur a exploré d'autres genres avant (ne serait-ce que par les Chiens de Paille en 71), Apportez Moi la Tête d'Alfredo Garcia sorti un an plus tard peut être vu comme la virgule lui permettant de passer à autre chose pour de bon. Western moderne dans un Mexique de cocagne, le film porte encore quelques stigmates du genre de Peckinpah s'est acharné à tuer. Titre fleuri, histoire hors d'âge, personnages troubles, rivalité mexico-yankee et une image, celle d'un type tout sale, un pistolet dans une main, un sac sanguinolent dans une autre, réglant ses comptes dans l'anonymat du désert. Apportez-Moi la Tête d'Alfredo Garcia pourrait également être vu comme un retour pour Peckinpah vers un cinéma qu'il a déjà expérimenté. Après la narration éclatée d'un Pat Garrett et Billy The Kid profondément masculin (la seule femme du casting qui ne soit pas une fille de joie décroche le fusil en cas de coup dur), nous revenons ici à une forme que l'on retrouve dans la Horde Sauvage ou les Chiens de Paille : un récit simple, qui se déroule, se déroule, se déroule jusqu'à la rupture soudaine qui mettra le feux aux poudres. Rupture qui va de paire avec une femme, violée ou tuée. Gentleman, Peckinpah accorde les deux à la compagne de Benny, agressée sexuellement par deux motards au cours d'une scène ambiguë semblant faire écho au viol étrange des Chiens de Paille. Si l'intrigue ne bascule que bien plus tard, c'est ici que Benny, ses émotions planquées derrière des ray-bans ringardes, commencera le carnage.
Carnage mais surtout descente aux enfers pour Benny, tiraillé par le souvenir d'une femme qu'il n'a pas su comprendre, obsédé par la tête qui pourri à ses côtés. La tête d'un homme qui, de son vivant, l'a fait cocu pendant trois jours, rendant sa compagne plus heureuse qu'elle ne l'a jamais été avec lui. Benny est paumé, il n'a plus rien à perdre, parle à peine l'Espagnol. Ne lui reste que son arme, une bouteille de tequila et celui qui fut son rival qui repose désormais sur le siège passager de sa décapotable défraîchie. Âme en peine sur un chemin de croix sanglant, Benny va se venger de tout, du meurtre de sa dulcinée, de son statut de gentil gringo, de la vie. L'argent n'a bientôt même plus d'importance, seul compte le petit sac qui trimbale ce qui reste d'Alfredo Garcia, un minable responsable malgré-lui de tant de cadavres. Alors que Benny bascule dans la folie meurtrière, sa relation avec ce passager improbable devient aussi trouble que sa raison. Cette tête pleine de mouches, conservée avec les moyens du bord, il va lui parler, la protéger, l'engueuler, hésitant constamment entre s'en débarrasser ou la garder à ses côtés. Cette tête deviendra un personnage à part entière, celui d'un Alfredo Garcia à la recherche de la rédemption post-mortem.
Apportez-Moi la Tête d'Alfredo Garcia est un film unique en son genre. Un film lent, fou, à l'image des ralentis soulignant les morts. Peckinpah est un cinéaste qui traîne encore une étiquette de faiseur bourrin aux films sanglants, ce que n'arrange pas sa personnalité hors-norme. Il était caractériel, ivrogne, drogué, considérait les femmes en fonction de ses propres déboires conjugaux, quelque part entre la princesse et la putain. C'est oublier, ou ne pas voir, que derrière ces corps qui s'envolent évoluent des personnages, d'un côté ou de l'autre du canon. Dans son monde de chacals où l'on ne semble se comprendre qu'à coup de poing ou de tromblon, Peckinpah lance ici en pâture une paire de loosers, qui s'aiment et se déchirent, dans une histoire si simple et pourtant trop grosse pour eux. Une histoire de trahison, de pardon et en marge, toujours cette violence qu'il semble répugner tout en la rendant magnifique. Une violence inévitable, corruptrice, qui amènera chacun vers le point de non-retour. Au frais dans son sac de toile, Alfredo Garcia ne connaît finalement pas sa chance...