8/10A bord du Darjeeling Limited

/ Critique - écrit par riffhifi, le 20/03/2008
Notre verdict : 8/10 - Inde à trois (quatre cinq six) (Fiche technique)

Tags : film darjeeling limited bord anderson wes comedie

Plus accessible que La vie aquatique mais moins inspiré que La famille Tenenbaum, ce nouvel opus de Wes Anderson confirme le talent du cinéaste tout en laissant craindre qu'il ne finisse par tourner à l'auto-parodie.

Wes Anderson partage deux choses avec Woody Allen : les initiales, et un univers cinématographique ultra-codé à l'humour immédiatement reconnaissable. Allen aime les Juifs New-Yorkais névrosés qui parlent de sexe et de leurs psys, et ne se lassera jamais de ses cartons de génériques noir et blanc ni de sa bande-son purement jazz. Anderson, lui, filme des excentriques richissimes qui cherchent à s'accomplir en tant qu'individus, sur une musique puisée essentiellement dans la brit pop des années 60, et se ménage dans chaque film une ou plusieurs séquences ou des personnages marchent les uns derrière les autres au ralenti. Espérons que ses gimmicks de cinéaste ne lui porteront pas préjudice à l'avenir : pour l'instant, sa carrière est encore suffisamment jeune pour que la redite ne soit pas trop lassante.

Francis (Owen Wilson) vient d'échapper de justesse à la mort dans un accident de moto. Il convoque alors ses deux frères à un voyage spirituel à travers l'Inde. Peter (Adrien Brody) envisage de quitter sa femme enceinte, et Jack (Jason Schwartzman) sort d'une relation compliquée dont le spectateur a pu avoir un aperçu dans le court métrage d'ouverture, Hotel Chevalier. Les trois frères ont L'heure des thés
L'heure des thés
perdu leur père récemment, et ont toutes les raisons de se taper dessus au cours du voyage...

Contrairement à ce qu'on pourrait croire au début, Jason Schwartzman et sa vie sentimentale chaotique n'occupent pas la première place dans l'histoire. Le personnage est même le moins intéressant des trois, disparaissant un peu derrière ses remarquables aînés : Owen Wilson en grand frère dirigiste, héritant contre toute attente d'une ou deux scènes presque pas comiques (on croyait l'acteur incapable de ne pas avoir l'air couillon), et Adrien Brody en kleptomane émouvant et sympathique se partagent l'essentiel de l'attention du spectateur. Fidèle à son habitude, Wes Anderson blinde ses protagonistes d'argent et en fait en même temps les êtres les plus dysfonctionnels du monde, allant cette fois jusqu'à les expédier en Inde, un des pays où la pauvreté frappe le plus. Les trois olibrius promènent leurs fringues à 6000 euros sans se préoccuper d'autre chose que de leur parcours personnel : chacun d'eux peine déjà à s'intéresser à ses deux frères, alors que dire de ces inconnus qui les entourent ? Pourtant, le réalisateur est malin, et ne centre pas son récit sur cette problématique, bien qu'elle reste au cœur du scénario. Il préfère cultiver l'étude de caractères, l'humour décalé et en demi-teinte même dans les moments les plus dramatiques, et le parcours individuel sur lequel chaque spectateur peut se faire son opinion. Un certain nombre de zones d'ombre sont délibérément laissées autour de chaque personnage, les passés sont évoqués sans être lourdement racontés. Seul compte finalement l'état dans lequel les trois hommes se retrouvent au moment du film : perdus, lâches, prêts à mélanger alcool, tabac, médicaments et prières pour aller mieux, et surtout incapable d'identifier la nature de leur mal-être. Prônant la confiance mutuelle mais camouflant leur visage derrière une moustache, des lunettes ou des bandages, les frangins sont des contradictions ambulantes.

A travers son humour si particulier, Wes Anderson parvient à rendre léger un voyage initiatique qui ne l'est pas tant que ça, et offre à trois acteurs épatants un espace d'expression où ils font des étincelles. La réalisation est toujours étonnante de rigueur et de maîtrise, émaillée d'instants de liberté d'autant plus remarqués (les zooms manuels). Dommage pourtant que l'émotion ne perce pas autant que dans La famille Tenenbaum, à côté duquel chaque nouveau film du réalisateur risque de continuer à faire pâle figure tant qu'il ne changera pas radicalement d'univers. Dommage aussi que Bill Murray ne fasse que passer. Mais le film se révèle plus accessible que La vie aquatique, et suffisamment drôle et intelligent pour faire oublier que Wes Anderson a fait mieux.