99 F
Cinéma / Critique - écrit par Lestat, le 05/10/2007 (Tags : monde film francs octave beigbeder litterature kounen
Approuvé par le BVP ?
Jan Kounen est un OVNI, il l'a toujours été. Un OVNI dans un cinéma français où il ne semble pas avoir sa place. Trop décalé, trop en avance, trop frondeur. Le cinéma français, il a tenté de l'attaquer de front : Dobermann, relecture gonzo de la Horde Sauvage. Une oeuvre en forme d'éjaculation précoce, violente, outrancière, folle. A l'époque, on avait jamais vu ça. On ne reverra sans doute plus ça avant longtemps : les adorateurs de Dobermann l'adulent, ses détracteurs le laminent. Le juste-milieu ne semble pas exister. Après cette première percée, Kounen tente la ruse du camouflage : Blueberry - l'expérience secrète, où le célèbre cow-boy de Charlier et Jean Giraud part s'enfumer le cerveau dans un joli western mystique. Le pari est osé, le casting béton, l'auteur approuve, le film se ramasse néanmoins. Echec cuisant. Ne lui restait que le cheval de Troie. Voila qui tombe bien, Frédéric Beigbeder passe par là. Le cerveau lavé par ses expériences chamanes, Kounen s'empare de son 99 Francs, trip onaniste d'un fils de pub vomissant sur son métier et la société qui l'a engendré. Avec la complicité de Jean Dujardin, visiblement heureux de pulvériser son image de gendre idéal, il va monter un hold-up comme on en avait plus vu depuis, ah ben tiens, depuis Blueberry. Fort d'une bande annonce ne laissant rien paraître, 99 Frs apparaissait comme une sorte de comédie familiale un peu féroce, le genre qui passerait sur TF1 pour apporter un peu de transgression au PAF sans trop le secouer pour autant. Et ça marche : il y a des enfants dans la salle. Sauf que 99 Frs est tout sauf ça. Qu'Octave est tout sauf un gendre idéal. C'est un gros connard. Une merde. Une merde qui va s'écraser comme telle au pied d'un l'immeuble...
Si 99 Francs met effectivement en scène un concepteur-rédacteur cocaïnomane plein aux as et insupportable de suffisance qui, du haut de sa tour, pond en un tour de main des réclames lamentables, 99 Francs n'est somme-toute pas un pamphlet anti-pub. Déjà parce que cela serait malvenue de la part de Jan Kounen compte tenu de son CV, ensuite parce que le propos est ailleurs. 99 Francs serait plutôt le constat que l'on a les pubs qu'on mérite. De là se dresse le portrait désabusé d'un monde, d'une société, que la recherche d'un quotidien plus idyllique pousse à accepter une créativité en pente descendante qui, à terme, amène à se repaître de spots télés abrutissants. Gérant les rouages de ce monde d'images, images qu'il deale à toute une population en manque, Octave est pourtant un roi de pacotille, aussi drogué que ses sujets et incapable d'assumer la réalité.
Les mots manquant pour décrire le foutoir qu'est 99 Francs, le mieux est encore d'en laisser la découverte à vos bons soins. Puis finalement, 99 Francs, tout le monde connaît, surtout depuis que Beigbeder s'est reconverti dans le show-biz. Le cas de Jan Kounen est déjà plus intéressant. D'abord parce que c'est un réalisateur aussi rare que précieux, ensuite parce qu'il plie 99Frs à son propre moule. Le cinéma de Jan Kounen est passé par différents stades de maturité. De l'oeuvre de sale môme à la prospection métaphysique de celui qui se cherche, on dénote également dans la filmographie de Kounen un besoin constant de faire le point. Dobermann était déjà un film somme, d'où se dégage le fantôme de ses courts métrage. 99 Francs en est un autre, le chaînon manquant entre Dobermann et Blueberry, où derrière Octave, c'est Jan Kounen que l'on aperçoit. Octave est un grand gamin qui se réveillera d'un coup, le même sans doute que le Kounen qui tournait des pubs pour manger avant de donner un coup de pied dans la fourmilière et de s'ouvrir au monde. Comme pour symboliser ce bilan, le réalisateur se fendra d'ailleurs d'un caméo, le temps de guider son anti-heros vers le chemin de la prise de conscience et, qui sait, lui faire partager ses expériences de la vie. La réalisation symbolise également à la fois le changement d'Octave, mais aussi le cheminement personnel de Kounen, le tout passant d'un registre très libéré, très virevoltant -on retiendra notamment deux bad trip assez dantesques- et finalement assez publicitaire dans l'esprit, à un registre plus intimiste à mesure que le film touche à sa fin.
99 Francs est jouissif, glauque, cynique, manipulateur (les ventes DVD sont déjà assurées...) hilarant et sinistre à la fois, mais aussi en totale cohérence avec l'oeuvre de son réalisateur. Cette appropriation presque parfaite fait déplorer quelques menus défauts, comme la présence trop appuyé du double-Beigbeder et surtout, un carton final mettant très maladroitement en relation les chiffres des budgets pub avec ceux de la faim de la monde. Electron libre, Kounen a néanmoins beaucoup gagné à canaliser sa folie (car pris en étau entre les saintes écritures de Beigbeder et la personnalité artistique de Jean Dujardin). 99 Francs reste à ce jour son film le plus abouti et un bonheur de maîtrise et de recherche visuelle. Porté par sa tête d'affiche, peut-être l'imposera t-il enfin pour ce qu'il est : l'un des meilleurs réalisateurs français actuellement en activité. Si ce n'est le meilleur…